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En ce moment, Washington allait quitter volontairement le pouvoir, et il était obligé, dans sa lettre d’adieu, de prémunir le peuple américain contre sa passion pour la France que le gouvernement de la France ne méritait pas.

Retiré dans son habitation de Mount-Vernon, il reprit sa vie de planteur, se levant avec le soleil, inspectant ses journaliers, visitant ses fermes et ses bâtimens, et recevant ses amis. La nouvelle du coup d’état de fructidor vint le chercher dans sa retraite. Il en fut vivement indigné. « Il est assez plaisant, disait-il, et que de fois on l’a pu dire depuis ! de voir ces hommes qui n’avaient pas assez d’injures contre le pouvoir exécutif, et qui sonnaient le tocsin à la moindre démarche que leur imagination pouvait faire passer pour un abus d’autorité ou un acte d’usurpation, devenir tout à coup les chaleureux avocats des mesures arbitraires adoptées par le directoire à la suite des arrêtés du 4 septembre. Ils ne prennent pas même la peine de nier que la constitution ait été violée. »

Cependant les Américains commençaient à ouvrir les yeux, ils commençaient à s’irriter contre les menées du directoire, et on en vint à craindre une invasion des Français. Le bon sens de Washington, toujours éloigné des excès, jugeait cette crainte chimérique tant que la France serait occupée par sa guerre avec l’Angleterre ; Néanmoins la prudence exigeait qu’on se mît en mesure de se défendre, si on était attaqué. Le congrès autorisa le président J. Adams à lever, en cas de nécessité, une armée de dix mille hommes, et Washington fut désigné par l’opinion pour la commander. Avec une vigueur de résolution que l’âge n’avait point affaiblie, il força le président à le laisser libre dans le choix de ses officiers-généraux, et se prononça, si l’on faisait la guerre, pour la faire en prenant l’offensive contre la France et l’Espagne, et pour rentrer par là en possession de la Louisiane.

Au milieu des soucis et des inquiétudes que lui donnaient ses nouvelles fonctions et les fautes politiques du président, Washington fut atteint par la fièvre. D’abord il ne daigna pas s’en occuper, mais le mal s’aggrava, et bientôt il comprit que sa maladie était mortelle. Sa mort fut calme et strictement stoïque. « Le moment est venu, dit-il, je m’en vais ; que l’on m’enterre convenablement. Ne faites descendre mon corps dans le caveau que huit jours après ma mort. Me comprenez-vous ? — Oui. — C’est bien. » Un peu après sa respiration devint libre. Il se tâta le pouls. On le vit changer de visage. Sa main quitta son poignet et retomba. Mme Washington, qui lui avait toujours été tendrement dévouée, se montra aussi laconique et aussi contenue que lui-même : « Est-il parti (is hegone) ? » demanda-t-elle