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plus ardente à poursuivre l’agrandissement de la puissance nationale qu’on n’est généralement porté à le penser. »

C’est un côté du personnage de Washington que son historien a mis plus en relief qu’on ne le fait d’ordinaire, et qui complète cette grande figure historique comme par une révélation inattendue. Les succès de la politique extérieure sont ceux qu’on est disposé à attendre des gouvernemens qui se disent forts parce qu’ils ne sont pas contrôlés, et on se défie un peu à cet égard des pays où, le peuple étant plus libre, le gouvernement l’est moins. L’exemple de Washington prouve que la liberté peut faire de la bonne diplomatie, car il manœuvre toujours habilement entre la France et l’Angleterre, résistant avec fermeté à leurs prétentions, sans en venir à une rupture définitive avec elles. Rarement un état commençant s’est trouvé dans une situation plus embarrassante. Comment rester uni à la France, d’où venaient alors les doctrines subversives de la constitution américaine, et dont l’envoyé, le citoyen Genêt, organisait aux États-Unis des corps francs contre l’Espagne et armait des corsaires contre l’Angleterre, ce qui était peu propre à favoriser les négociations avec les deux gouvernemens? Washington réprima ces menées. Quoique bientôt inquiet de la direction qu’avait prise la révolution française, il ne pouvait s’empêcher d’espérer que tout cela tournerait en faveur des droits de l’humanité; mais cette sympathie pour la cause et le but de la révolution ne l’empêchait pas d’être très contraire au jacobinisme transplanté en Amérique, qui l’insultait grossièrement chaque jour, à cette démagogie stupide qui, le bonnet rouge en tête et le mot de citoyen à la bouche, embarrassait de son mieux le développement de la vraie liberté. Il est bon que le monde les ait vus là en présence pour être plus frappé du contraste.

Washington ayant arrêté le départ du Petit-Démocrate, navire que M. Genet faisait ouvertement armer en corsaire contre les Anglais, avec lesquels les États-Unis étaient en paix, le citoyen Genêt déclara qu’il en appelait au peuple. Une discussion qu’il eut à ce sujet avec le secrétaire d’état, c’était Jefferson, montre, comme dit très bien M. de Witt, à quel point la passion démocratique et les habitudes révolutionnaires peuvent enlever l’intelligence de tout gouvernement régulier. Il parlait de la convocation du congrès. — Mais, répondait Jefferson, la question qui s’est élevée entre nous n’est point du ressort du congrès. — Comment, n’est-il donc pas souverain ? — Non; le congrès est souverain pour faire les lois, le pouvoir exécutif pour les exécuter, et le pouvoir judiciaire pour les interpréter. — Après avoir entendu quelques détails de plus sur la constitution américaine, M. Genêt témoigna le plus grand étonnement; puis, faisant