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proposition. » Paroles antiques, simplicité et grandeur vraiment romaines, dignes d’être l’exemple du monde, et qui ont trouvé en Amérique même un digne imitateur dans le généreux Bolivar, dont l’ingratitude des partis n’a pas terni la renommée!

Il y avait pour Washington d’autant plus de mérite à repousser les séductions du pouvoir suprême, que son pays ne possédait encore qu’une constitution provisoire, qu’il était permis de craindre de grandes difficultés et de violens orages. Les esprits étaient divisés, incertains, agités de passions violentes; on était même menacé par ces instincts subversifs dont le danger offre à tant de gens un prétexte plausible pour invoquer la tyrannie; « ce qui n’avait d’abord été que la guerre aux Anglais, dit M. de Witt, devint la guerre aux riches... La misère, la banqueroute, le communisme, la guerre sociale au sein des états, la guerre civile entre eux, le mépris et les insultes de l’étranger, toutes ces hontes et tous ces maux étaient imminens ou déjà présens. » Washington eût pu croire qu’un homme comme lui était appelé à sauver une patrie ainsi menacée, en saisissant la toute-puissance; mais son âme était plus grande que cela: au milieu de tous ces périls, il ne désespéra pas de la liberté, et il alla dans la convention de Philadelphie travailler à fonder non son pouvoir, mais la constitution de son pays.

La convention de Philadelphie a été le berceau de la constitution américaine; on y eut beaucoup de peine à s’entendre. Les tendances les plus opposées y étaient en présence, et tandis qu’Hamilton voulait un gouvernement qui, sans être la monarchie, pût y conduire, d’autres craignaient la tyrannie d’un pouvoir central trop énergiquement constitué. Tout cet ensemble de discussions, de tâtonnemens, de transactions d’où est sortie la constitution des États-Unis, est parfaitement déroulé par M. de Witt; c’est une des parties de son livre qui renferme les renseignemens et les aperçus les plus nouveaux. Malgré le dissentiment inévitable des opinions, on sent qu’il y a un besoin sincère d’union et un véritable désir de trouver le vrai. Les idées justes, de quelque part qu’elles viennent, finissent par triompher. La lutte était entre les grands et les petits états, entre la représentation exclusive du nombre et la représentation des unités politiques constituées par chaque état. Si la première avait seule triomphé, la république américaine était livrée sans contre-poids à la domination de la multitude; mais les droits donnés à ces personnes politiques, à la fois réelles et abstraites, qui sous les états créaient une barrière au principe absolu de la majorité, on peut dire que c’est là ce qui a remplacé heureusement l’élément aristocratique absent, et sauvé les États-Unis de ce pêle-mêle nivelé au-dessus du quel rien ne s’élève, au sein duquel rien ne résiste, et dont tour à