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partit pour la France sans autre mission que celle de jouir de la popularité dont son nom commençait à être couvert en Europe.

M. de Lafayette n’avait peut-être pas de mission officielle, mais ses lettres prouvent qu’il ne quittait l’Amérique un moment que pour aller la servir encore. M. de Witt le reconnaît lui-même, car, parlant de l’alliance française, il ajoute : « Ce service n’était point encore assez grand pour satisfaire le zèle de M. de Lafayette. Les secours militaires envoyés par la France avaient été jusque-là ou nuls ou inefficaces. M. de Lafayette employa son séjour à Paris à préparer une intervention plus directe et plus importante de son pays dans la guerre de l’indépendance. Malgré la vive répugnance que Washington avait manifestée en 1778 pour l’introduction des troupes françaises dans les colonies, malgré les vieilles haines qui séparaient les deux races, M. de Lafayette se fit fort de faire accepter aux Américains le secours d’une armée. Longtemps le gouvernement français résista aux suggestions du jeune enthousiaste, longtemps l’on opposa l’expérience à ses espérances. Frappé de la sincérité de sa foi, circonvenu par son activité, le ministère finit par céder, et au commencement de 1780 tout se prépara pour l’envoi d’un corps d’armée aux États-Unis. » On voit que, de l’aveu même de l’auteur, M. de Lafayette fit à Paris autre chose que jouir de sa popularité.

M. de Witt, qui semble louer un peu à regret M. de Lafayette, loue Washington avec effusion et sans aucune arrière-pensée. En expiation de ma critique, je citerai ces lignes sur la correspondance de Washington : « C’est là qu’est vraiment peinte cette grande figure si originale par sa simplicité : peu d’éclat, peu de traits dans le détail et un ensemble frappant; peu de fécondité avec peu de concision; de la monotonie dans la forme et la puissance entraînante du génie; une pénétration et une portée dans les vues qui vont jusqu’à l’éloquence; une humilité sincère, mais sans emportement et sans pruderie, une passion ardente, mais dominée et contenue, contre lesquelles on n’est jamais tenté de se mettre en garde, et qui émeuvent et attirent les âmes les plus froides sans inquiéter les esprits les plus réfléchis. »

On sait que l’appui de la France assura le triomphe de la cause américaine, triomphe qui était fort incertain sans cet appui. Le siège d’York-Town, qui décida de l’issue de la guerre, présente le spectacle d’une alliance entre des troupes françaises et des troupes de sang anglais, alliance dont se renouvelle aujourd’hui l’héroïsme, mais dont malheureusement ne s’est pas renouvelé encore le succès définitif. Il faut convenir qu’York-Town n’était pas si difficile à prendre que Sébastopol. « Le 10 octobre, tout fut prêt, et