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ces doutes et resta aussi ferme que s’il était plein de foi... Il répondait sans hésitation à ceux qui lui demandaient ce qu’il ferait si Philadelphie était prise : Nous remonterons au-delà de la rivière Susquehanna, puis, si c’est nécessaire, au-delà des monts Alleghanis. »

Les commencemens de la guerre sont bien peints par ces mots : « C’était une guerre de position, froide comme une partie d’échecs; peu de sang répandu, peu de combats héroïques et d’actions d’éclat; un seul grand spectacle : la fermeté de Washington dans la mauvaise fortune, sa lutte sans relâche contre le découragement, la peur et contre la trahison des siens. » Non, il y avait et surtout il y eut bientôt un autre grand spectacle : ce fut celui que donnèrent ces soldats improvisés, ces populations armées soudainement pour l’indépendance, ces hommes quittant la charrue ou le comptoir et qui finirent par vaincre une armée régulière. Les pièces qui manœuvraient sur cet échiquier étaient vivantes. Malgré l’inexpérience, l’indiscipline, les petites passions qui se mêlent toujours aux grandes choses, mais ne les empêchent pas plus qu’elles ne les font là où un grand sentiment existe, les Américains finirent par se montrer dignes de celui qui les commandait. Un homme ne suffit pas pour fonder l’indépendance d’un peuple, il faut que le peuple en soit. Du reste M. de Witt apprécie très bien le caractère militaire de Washington, ce mélange de patience et d’audace, de temporisation habile et de décision hardie qui lui faisait attendre le moment et le saisir, comme aussi l’énergique décision qui lui fit demander un pouvoir illimité, mais temporaire, sur l’armée. Ce pouvoir lui fut accordé pour six mois. Le danger d’une dictature militaire n’était pas grand avec un homme qui écrivait au congrès : « Loin de me croire dégagé par cette marque de confiance de toute obligation civile, je me souviendrai toujours que l’épée à laquelle nous n’avons fait appel qu’à la dernière extrémité pour la défense de nos libertés doit être posée dès que ces libertés seront fermement établies. » Washington était de ceux qui, après avoir fait de semblables promesses, les tiennent.

M. de Witt a un sincère désir d’être juste pour M. de Lafayette, dont la conduite pendant la guerre d’Amérique ne peut exciter que l’admiration. Je ne voudrais pas que, tout en établissant si bien ce qu’eut de noble et de sage toute sa conduite dans ce pays, il la citât comme « un exemple des sacrifices que les Français peuvent faire au besoin de satisfaire leur vanité et de réaliser les rêves d’un esprit léger et généreux. » — Cette nuance de mauvais vouloir involontaire, dont, je crois, il ne faut pas chercher la cause en Amérique, se trahit surtout au sujet de l’expédition dans le Canada qu’avait projetée M. de Lafayette et qu’il dut abandonner. « M. de Lafayette, dit M. de Witt,