de général en chef, il n’y porta aucun entraînement d’amour-propre, aucune illusion sur les difficultés de l’entreprise. Il écrivait : « Lorsque le camp est plongé dans le sommeil, je passe de bien tristes momens à réfléchir sur notre fâcheuse situation. Bien des fois je me suis figuré que j’aurais été infiniment plus heureux si, prenant mon fusil sur l’épaule, je m’étais enrôlé dans les rangs au lieu d’accepter le commandement dans de semblables circonstances, ou bien si j’avais pu me retirer au fond du pays, et vivre dans un wigwam sans craindre que la postérité et ma propre conscience me reprochassent cette conduite. » Telles étaient ses réflexions. Mais cet homme, incapable d’aveuglement, et que l’enthousiasme n’emportait point, une fois entré dans une carrière qu’il n’avait pas choisie, devait aller jusqu’au bout, sans fatigue, sans découragement, comme le settler américain, enfoncé dans une forêt vierge, se fait son chemin en abattant les arbres devant lui, ne s’arrête et ne se repose que lorsque l’obstacle est franchi.
M. de Witt montre parfaitement avec quelles difficultés Washington eut à lutter pendant la guerre de l’indépendance, et surtout au début de cette guerre. « Chaque membre du congrès, chaque assemblée provinciale, chaque bourgeois influent était pour lui un embarras en même temps qu’un appui indispensable. De l’aveu de tous, Washington était l’âme de tout ce qui se faisait pour la défense de l’Amérique, et c’est à peine si on l’avait revêtu du pouvoir nécessaire pour faire subsister son armée ! Pour se procurer des munitions et des vivres, pour compléter ses cadres, pour faire exécuter ses moindres ordres, il fallait recourir à l’autorité de celui-ci, à l’influence de celui-là, parler assez haut pour être entendu, et avec assez de précaution pour ne pas blesser les susceptibilités démocratiques. Tant de ménagemens coûtaient à la fierté de Washington, mais il s’y soumettait par patriotisme, jamais pourtant assez au gré de certains hommes. Sans cesse il recevait de Philadelphie des avertissemens sur les plaintes de l’opinion publique : c’était telle assemblée dont il ignorait l’existence, qui ne se trouvait pas traitée avec assez d’égards, telle femme de pasteur qu’il avait négligé d’inviter à sa table, tel avocat qui s’étonnait de n’être encore que colonel. »
Tout cela est vu avec finesse et dit avec esprit. Peut-être M. de Witt ne tient-il pas assez compte de l’élan patriotique qui, en dépit de toutes ces misères, animait les Américains et devait les rendre invincibles. Du reste il lui est permis de l’oublier un peu, quand on voit que Washington lui-même par moment doutait du succès et écrivait à son frère dans un de ces instans de doute : « Soit dit entre nous, je crains que la partie ne soit bientôt perdue. » Cependant, comme le remarque M. de Witt, « il ne se laissa point abattre par