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présence d’Alexandre. L’hommage rendu par M. de Fontanes à la liberté ne persuada ni son illustre auditeur, ni l’orateur lui-même. L’écrit de M. de Witt est tout autrement sérieux, il ne persuadera pas tout le monde, mais les lecteurs désintéressés ne pourront refuser au héros leur admiration, et à l’historien leur estime.

Washington ne semblait pas né pour être un grand homme; il n’avait ni cette ambition qui pousse aux entreprises hardies, ni les facultés extraordinaires qui sont nécessaires pour en assurer le succès. C’était un planteur de la Virginie, « dont la vie n’offre d’abord, comme le dit M. de Witt, qu’un singulier mélange des recherches et des travaux aventureux du pionnier américain, des occupations sédentaires et laborieuses du commerçant de la cité et de l’existence à la fois opulente et rude des gentilshommes de campagne anglais. » L’agitation produite par les premiers soulèvemens qu’amenèrent les taxes illégales imposées par la Grande-Bretagne vint trouver Washington dans sa terre de Mount-Vernon, où « sans le secours d’aucun commis, il correspondait avec les agents qu’il avait à Londres pour le commerce de ses tabacs, et tenait ses journaux, ses grands-livres et ses copies de lettres avec la régularité du négociant le plus strict et le plus soigneux; » mais le planteur industrieux, le vendeur de tabac, avait au plus haut degré le courage militaire et le courage civil, qui sont restés l’apanage de la démocratie américaine, ces deux courages, dont l’union est nécessaire aux démocraties qui veulent vaincre.

Washington participa énergiquement à toutes les mesures de résistance légale qui furent prises contre les empiétemens inconstitutionnels de l’Angleterre sur les franchises américaines. Celui qui, dans une campagne contre les Français, avait déployé au passage de la Monongahela une valeur brillante était doué de trop de sagesse pour en appeler d’abord à la violence. «Personne, disait-il, ne doit hésiter un instant à employer les armes pour défendre des intérêts aussi précieux et aussi saints; mais les armes doivent être notre dernière ressource. » Washington ne désirait pas la guerre, mais il fut toujours résolu à combattre pour le droit. En apprenant le premier engagement des milices américaines avec les troupes anglaises à Lexington, il écrivait : « Sans doute il est douloureux que des frères se soient plongé l’épée dans le sein, et que les champs de l’Amérique, autrefois si heureux et si paisibles, soient désormais inondés de sang ou peuplés d’esclaves : déplorable alternative, mais un homme vertueux peut-il hésiter?»

Appelé au commandement de l’armée levée pour la défense de la cause américaine, commandement qu’il n’accepta qu’avec une modeste défiance de lui-même et qu’après avoir refusé le traitement