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qu’il y avait à décider pour l’assaut. Vauban ouvrit l’avis de faire l’attaque en plein jour, contrairement aux précédens, et contre le sentiment général, en opposition notamment avec l’opinion de Louvois et de Louis XIV. « Tout le monde pensoit que la terreur et la confusion des assiégés seroient bien plus grandes dans une nuit obscure qu’en plein jour. » Vauban répondait que l’attaque étant d’une si grande étendue, les colonnes d’assaut avaient pour le moins autant à redouter le désordre dans l’ombre que l’assiégé. Suivant l’illustre ingénieur, il était à craindre ensuite que, dans une attaque de forme semi-circulaire, nos gens ne se tirassent les uns sur les autres, si l’on marchait dans l’obscurité. On faisait mieux son devoir d’ailleurs au soleil et sous les yeux du maître que la nuit; il devait y avoir enfin quelque chose de particulièrement brillant dans une action de ce genre, en présence d’un aussi grand roi. Vauban terminait par cette considération, dont l’événement a si bien prouvé la justesse, qu’en attaquant le matin, et même un peu tard, on ne trouverait plus l’ennemi sur ses gardes. « Les assiégés, disait-il, après avoir passé dans l’attente d’une insulte une longue nuit, qu’on s’arrangeroit pour leur faire laborieuse, épuisés de fatigue et tenus en éveil par le bruit infernal de l’artillerie, s’endormiraient à la venue du jour et se livreroient en pleine sécurité au repos, persuadés que, jusqu’à la nuit prochaine, il n’y auroit plus pour eux d’assaut à craindre. »

Le roi finit par se laisser convaincre. On agita ensuite la question de savoir si les troupes destinées à renforcer la garde de tranchée, en prévision de l’assaut, attendraient l’heure de la garde ordinaire pour descendre dans les places d’armes, ou si elles s’y rendraient le soir et dans l’ombre. Ce second parti, vivement recommandé par Vauban, fut adopté pareillement malgré l’énergique résistance du maréchal de La Feuillade, qui, dans l’intérêt des gardes françaises, dont il était le colonel, soutenait que pour se préparer au vigoureux coup de main du lendemain, une nuit tranquille était nécessaire aux colonnes d’assaut, que si elles devaient coucher sur la contrescarpe, elles n’y pourraient goûter à coup sûr aucun repos. L’opinion de Vauban prévalut donc encore cette fois. On parvint à dissimuler aux Espagnols tout bruit extraordinaire et tout mouvement suspect dans les tranchées. Grâce à l’obscurité d’une nuit profonde, les gardes, deux bataillons de Picardie, les deux compagnies de mousquetaires, un détachement de Soissons et un des grenadiers à cheval se glissèrent en silence, quand la nuit fut bien noire, dans les places qui leur étaient destinées, sans que l’ennemi se doutât qu’au point du jour quatre mille hommes des meilleures troupes de l’armée française étaient couchés à quelques mètres du fossé de la couronne, brûlant de s’élancer au premier signal.