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Feuillade, ce courtisan accompli, appelé à donner son avis dans le conseil[1], soutint seul et avec persévérance l’opinion de son maître, dont il avait certainement su pénétrer la véritable pensée.

Quoi qu’il en soit, il paraît que les piqûres des gazettes hollandaises blessèrent au vif Louis XIV, qui jura de prendre bientôt quelque éclatante revanche sur les lieux mêmes. Ses armes, si heureuses en général avec les places fortes de Flandre, avaient moins brillé devant Valenciennes. Sans doute il s’était rendu maître en fort peu de temps de Condé, et notamment de Bouchain, à la barbe de l’ennemi, en présence de l’armée hollando-espagnole et du prince d’Orange, qui la commandait, sans que Guillaume eût tenté de s’y opposer; mais le grand roi avait toujours sur le cœur le désastre de 1656, alors que Condé et les Espagnols forçaient les lignes du maréchal de La Ferté-Senecterre, le faisaient prisonnier, et auraient infailliblement détruit l’armée française, qui assiégeait Valenciennes, sans le talent et les efforts de Turenne. Les débris de nos troupes furent sauvés, mais le siège fut levé[2] .

À ces considérations d’amour-propre s’en joignaient d’autres d’un ordre politique plus sérieux. Le maréchal d’Estrades, chargé avec MM. de Croissy et d’Avaux[3] de suivre les négociations pour la paix de Nimègue, avait écrit au roi qu’afin de rendre les plénipotentiaires des états de Hollande moins intraitables, il était de toute nécessité que sa majesté s’emparât encore en Flandre de quelques places importantes[4], et Louis XIV, qui voulait sérieusement la paix, arrêta dans sa tête qu’à la campagne suivante Saint-Omer, Cambrai et Valenciennes, les trois villes les plus considérables de l’ennemi, seraient en son pouvoir. Disons-le à la gloire de ce grand prince, les succès de ses armées en 1677 dépassèrent tout ce qu’on en pouvait attendre; à la prise de ces trois places vint se joindre la brillante victoire de Cassel, et tout cela ne dura guère plus de six

  1. Le conseil se tint à cheval devant la ligne. Les détracteurs de Louvois prétendent que ce ministre fut pour beaucoup dans la résolution que prit le roi, et cela par crainte d’une bataille, toujours plus périlleuse qu’un siège, où l’on peut se mettre souvent à couvert.
  2. Don Juan d’Autriche et le comte de Fuen-Saldagne avaient des commandemens dans l’armée de Condé. Le duc de Bournonville défendait Valenciennes pour les Espagnols. Le maréchal de La Ferlé fut racheté par le roi l’année suivante.
  3. Le duc de Vitry malade était venu mourir à Paris.
  4. Plus tard le maréchal d’Estrades écrit à Louvois, le 9 mars, de Nimègue : « Le siège des deux grandes places que le roy fait en même tems (Valenciennes et Saint-Omer, — le roi avait toutefois abandonné pour le moment le siège de la seconde) cause bien de l’épouvante aux gens de ce pays-ci, et cela ne peut produire que de très bons effets et donner sujet de se moquer des impertinentes propositions, etc. » — J’emprunte cette citation et plusieurs autres qui trouveront place dans cette étude à la précieuse collection de documens manuscrits conservés à la bibliothèque du ministère de la guerre.