chait avec moins de peine. Il se trouva bientôt au sommet d’un monticule, et son cœur bondit de joie ; à deux grands frênes qui y abritaient une croix gigantesque, il venait de reconnaître le monticule de la Croix Girod ; il n’était plus qu’à quelques pas de Bas-du-Bois, il était sauvé !
À Champ-de-l’Épine cependant la soirée était bien avancée déjà. Le délire avait quitté le père Reverchon, qui semblait n’avoir plus pour tout mal qu’une extrême faiblesse ; mais Joséphine n’était pas plus rassurée. Elle savait combien perfides sont ces mieux des dernières heures qu’accorde la nature au malade, soit pour adoucir, par un peu d’espérance encore, l’amertume des instans suprêmes, soit pour ménager au moribond le temps et le calme nécessaires pour régler ses intérêts de l’âme et du corps. Le sort de Simon ne l’inquiétait pas moins. Combien de fois, depuis son départ, n’était-elle pas venue sur la porte de la ferme pour examiner l’état du temps ! La tourmente avait entièrement cessé ; de l’ouragan de tout à l’heure, il ne restait plus que quelques légers nuages, au milieu desquels se jouait capricieusement la lune, dont la clarté était augmentée encore par l’éclat de la neige. Pourquoi donc Simon n’était-il pas de retour avec Mélan ? Il y avait cinq heures au moins qu’il était parti, cinq heures pour un si court trajet ! Il avait donc succombé en route ; elle le voyait étendu dans la neige, luttant sans espoir contre des bandes de loups affamés. Cette idée l’affecta si vivement, que peu s’en fallut que sa douleur n’éclatât en présence même de son père. Elle sortit pour pleurer à son aise, mais à peine était-elle arrivée sur la porte de la grange, que deux individus se présentèrent à elle, couverts de neige, haletans, épuisés de fatigue. — Mélan, Simon ! crie-t-elle en les embrassant avec fureur tous les deux. Les deux jeunes gens la suivent au poêle. Le père Reverchon demande ce que signifie tout ce bruit.
— Père, lui répond la jeune fille, c’est Mélan que je vous ramène ; ne voulez-vous pas le recevoir ?
— Mélan ! dit le vieillard en se soulevant à moitié sur son lit ; de quel Mélan veux-tu parler, Josète ? J’ai eu un garçon de ce nom-là, mais je l’ai perdu. Je ne connais pas celui que tu veux dire. Qu’il approche cependant ; on verra bien.
Mélan s’approcha la tête basse du lit du malade.
— Non, non, ce n’est pas là mon garçon, reprit le vieillard en s’animant de plus en plus. Mon garçon était honnête ; il aimait son père, et aurait mieux aimé mourir que de lui manquer. Quelle ressemblance peut-il y avoir entre lui et celui que je vois là ? Tenez, il faut que je vous dise son histoire, à celui-ci. Il avait pour mère la meilleure des femmes et pour père un brave homme, qui l’aimait par-