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cher. Il n’y a pas besoin de bassinoire ; tu mettras seulement un morceau de bois dans le poêle ; j’aurai assez chaud.

La pauvre fille avait les larmes aux yeux ; malgré ses efforts pour les cacher, le vieillard s’aperçut qu’elle pleurait.

— Ne fais donc pas l’enfant comme ça, Josète, lui dit-il ; tu vois bien que ce n’est qu’un peu de fièvre. Quand même mon moment serait venu, est—ce que nous ne devons pas nous soumettre ? Tu enverras chercher le curé ; je tiens à mettre ma conscience en ordre pendant que j’ai encore un peu ma tête. Je n’ai pas besoin de te dire de te conduire toujours en brave fille. Vois-tu, Josète, si tu devais jamais faire quelque chose contre l’honnêteté ou contre la religion, j’aimerais mieux te voir morte tout de suite. Ta mère est vieille ; il te faudra en avoir bien soin, lui obéir toujours et ne pas faire comme ton… Ne m’avais-tu pas dit que tu me ferais une infusion ? Mais appelle d’abord ta mère ; je sens que les jambes vont me manquer…

La mère Claude arriva tout éperdue. À peine le vieillard fut-il couché, que la fièvre, qui l’avait assailli depuis la veille, redoubla de violence. Dans l’étrange chaos d’idées qui se combattaient dans son esprit, le nom de Mélan s’échappa plus d’une fois de ses lèvres, mais mêlé d’une façon peu rassurante à ceux de Michoulier, d’Isidore et de ce fatal terme en retard. Une fois, il est vrai, comme Joséphine était penchée sur le lit du malade, elle l’entendit distinctement réclamer son fils, qu’il accusait l’aubergiste et le fruitier de lui avoir enlevé. La bonne fille se trouva alors dans un cruel embarras. Malgré la défense de Mélan de révéler à qui que ce fût son asile, Simon n’avait pu lui cacher longtemps que le fugitif était à Bas-du-Bois. Le manderait-elle à Champ-de-l’Épine ? D’une part elle craignait d’irriter davantage encore son père et d’aggraver par là son mal, d’autre part de le laisser mourir sans que Mélan fût pardonné. La pauvre fille ne savait quel parti prendre ; mais le vieillard ne lui avait-il pas recommandé le matin même de s’adresser au curé, quand elle aurait besoin de conseils ? Joséphine courut au presbytère ; le digne prêtre achevait, quand elle entra, la lecture d’une lettre qu’il venait à l’instant même de recevoir de Mélan ; il la communiqua à la jeune villageoise :

« Monsieur le curé, écrivait Mélan, c’est à vous que je m’adresse, n’osant pas envoyer même une lettre a mes parens. Vous voyez déjà que je ne suis pas heureux, puisque me voilà réduit à ne pouvoir écrire à ceux que je dois aimer par-dessus tout ; mais la faute n’est qu’à moi, et je ne dois pas me plaindre. Cette lettre n’est pas pour chercher à rentrer dans votre estime ni dans l’amitié de mes parens : je sais bien que je n’ai plus à espérer ni l’une ni l’autre ; mais j’ai tant de chagrins, qu’il faut absolument que je les dise à quelqu’un ; il me