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— Prenez garde à ce que vous allez faire, monsieur, dit-il les lèvres tremblantes de colère; après mes aveux de tout à l’heure, votre indiscrétion serait une injure dont je devrais vous demander compte.

— Monsieur de Vaureuil n’aura qu’à choisir le jour et l’heure, répliqua Hermann avec une froideur provocante.

— Aujourd’hui donc et sur-le-champ! s’écria le Français à bout de patience; aussi bien mieux vaut prévenir une trahison que la punir. Vos armes, monsieur?

— Celles que nous trouverons, dit l’étudiant, dont les traits s’étaient animés d’une expression résolue.

— Je doute que l’on puisse se procurer ici les rapières en usage dans vos duels académiques, reprit ironiquement M. de Vaureuil; mais M. Dinski a des pistolets...

— Allons les lui demander, acheva Hermann.

Tous deux prirent leurs casquettes et sortirent. A peine avaient-ils franchi le seuil, qu’ils entendirent les coups de feu du Polonais. Ils se dirigèrent ensemble vers l’endroit où il s’exerçait dans ce moment. C’était un ressaut de la montagne dont l’entrée laissait à gauche, le sentier suivi par les voyageurs, et que fermait à l’autre bout un pan de rocher contre lequel s’arrêtaient les balles. M. Dinski devait la découverte de ce coin unique dans toute la montagne à l’hôtelier, qui venait de l’y conduire. M. de Vaureuil et son compagnon se hâtèrent de le rejoindre. Du plus loin qu’il les aperçut, le Polonais les appela avec de grandes démonstrations de joie.

— Venez, s’écria-t-il, venez voir ce que m’a trouvé M. Franck ! un vrai tir modèle, à l’abri du vent, du soleil. . . Et là-bas, regardez cette touffe de lichen qui forme un blanc sur le roc! c’est admirable, mes sieurs, je veux que vous essayiez mes pistolets!

— Nous venions dans cette intention, dit M. de Vaureuil avec un froid sourire.

— Parfaitement, reprit le réfugié; M. Franck vient justement de charger la meilleure paire; elle est là sons votre main; vous allez voir quelle détente ! on la ferait partir avec un cheveu; il suffit de toucher, pan ! la balle est au but.

Le Français regarda les pistolets déposés sur la mousse dans une anfractuosité de la roche.

— A la bonne heure, dit-il; vous nous donnez les armes, mais ce n’est point assez, il nous faut votre assistance.

— Notre assistance? répéta l’hôtelier, dont le regard alla rapidement de M. de Vaureuil à Hermann; pourquoi cela, messieurs?

— Parce qu’on n’a pas l’habitude de se battre sans témoins.

— Vous voulez vous battre ! s’écria le Polonais.