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— On sait bien, reprit Perret, pourquoi le Rougeaud est tant après Mélan : c’est parce que la Floriane n’a pas voulu de lui.

— Une belle dringue, ma foi, votre Floriane ! répondit le Rougeaud. Comme si on ne savait pas qu’avant de venir à Chapois,… suffit ; c’est la sage-femme qui l’a dit elle-même.

— Tu en as menti, s’écria du dehors Mélan avec une voix de tonnerre ; tu en as menti, mauvais Rougeaud !

Il avait rugi, il s’élança comme un lion. On entendit le long escalier de bois trembler sous ses bonds furieux. Une scène de violent désordre se passait pendant ce temps dans la salle. Tous s’étaient levés de leurs bancs ; la Céleste allait de l’un à l’autre, criant qu’elle n’entendait pas ça, que c’était une abomination, qu’on perdait sa maison. Le Rougeaud avait saisi une bouteille vide que Désiré cherchait à lui enlever des mains. De son côté, le Carabinier avait pris position en travers de la porte, remplissant de sa vaste stature tout l’espace. Mélan vint se heurter contre le colosse.

— Laisse-moi, Carabinier, criait-il avec fureur ; laisse-moi passer, que je le tue !

Le Carabinier demeurait impassible. — Paix, mes enfants, disait-il avec un flegme imperturbable, paix ; ne faites pas les méchants comme cela. Désiré, emmène Mélan ; toi, Rougeaud, pose ta bouteille, ou je te fais passer le goût du pain, et ce ne sera pas long. — Le Rougeaud obéit sans se faire répéter l’ordre ; mais Mélan fit plus de résistance, et ce ne fut pas sans peine qu’on le décida à quitter l’auberge et à retourner à Champ-de-l’Épine.

IV.

Le lendemain de cette pénible journée, le père Reverchon était debout de grand matin, ce qui ne lui était pas arrivé depuis le commencement de sa maladie. Il profita du moment où la mère Claude était à traire ses vaches pour chercher à apprendre de Joséphine les motifs qui avaient pu pousser Mélan à vouloir se faire soldat. Joséphine fut grandement attristée à la nouvelle de l’étrange résolution prise par son frère ; mais elle garda assez d’empire sur elle-même pour ne rien laisser voir au vieillard des pénibles sentimens qui l’affectaient. Elle répondit en bonne sœur qu’elle n’avait rien entendu dire sur le compte de Mélan, que sa détermination n’était sans doute que l’effet d’un coup de tête, et qu’un peu de réflexion l’y ferait certainement renoncer. — Il faut que j’en aie le cœur net, répondit le père Antoine ; donne-moi mes habits, Josète, j’ai à sortir.

Cet ordre contraria vivement la jeune fille, qui comprit tout de suite les fâcheuses conséquences de la démarche que son père se proposait de faire. Évidemment il allait chez le curé ; eût-il de-