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— Pardonnez-moi, s’écria-t-il, Floriane, pardonnez-moi. Est-ce que je pourrais vous quitter, dites ? Non, non, quand je le voudrais, je ne le pourrais pas. Ne pleurez donc pas comme ça : vous voyez bien que cela me fend le cœur.

Floriane sanglotait. La lune depuis quelques instans s’était dégagée de l’épais rideau de nuages qui l’avait masquée jusqu’alors ; elle éclairait les joues pâles de la jeune fille, que sillonnaient d’abondantes larmes. Un instant de silence suivit, durant lequel la pauvre enfant s’efforça de maîtriser sa douleur. — Partez, Mélan, dit-elle enfin d’une voix presque assurée ; partez, il le faut. Ne faites pas attention à moi ; je ne souffre que ce que je mérite. J’aurais dû me dire dès le premier jour que votre père ne serait jamais consentant. J’en ai bien eu l’idée plus d’une fois ; un jour même, je voulais vous dire qu’il fallait nous quitter, mais je n’en ai pas eu la force ; il me semblait que je serais trop malheureuse, si je ne vous voyais plus. Votre père veut que vous partiez, il faut lui obéir. Votre mère aussi ;… on dit qu’elle est si bonne, votre mère ;… vous ne devez pas lui donner du chagrin. Nous nous reverrons encore une fois, — n’est-ce pas ? — la veille de votre départ, et nous nous dirons adieu. Fasse le ciel que ce ne soit pas pour toujours ! À bientôt, Mélan ; mon père ne tardera pas à revenir : il faut que je rentre au chalet.

Mélan voulait la retenir, mais elle se dégagea de ses bras et s’éloigna rapidement ; le jeune villageois n’essaya pas de la poursuivre. Resté seul, dans un état inexprimable de trouble et d’abattement, il sentait ses yeux se remplir de larmes. Le bruit des pas d’Isidore, qui revenait en sifflant, selon son habitude, quelque air grivois, le força à quitter la place. Tout en marchant, le pauvre jeune homme se mit à se parler tout haut à lui-même : — Elle croit que c’est mon père qui veut que je parte ; si elle savait ce qui en est, et que c’est de moi seul qu’est venue la chose… Qu’est-ce que je voulais ? Partir pour ne pas chagriner mes parens ; mais je vois bien maintenant que je n’aurais pas pu quitter Floriane. C’est décidé, je dirai tout à mon père.

Au moment même où Mélan prenait cette résolution, le bruit d’une chanson vociférée par les plus discordantes voix du monde vint frapper ses oreilles :

Va, va, tu t’en repentiras,
Quand il faudra monter la garde ;
Soufflant dans les doigts, tu diras :
Cruel moment où j’ai pris la cocarde !

— Ils sont encore chez Michoulier ; il faut que j’y aille, ça me fera peut-être passer mes idées. — Mélan se dirigea vers l’auberge. Comme il allait y arriver, il remarqua que la fenêtre de la salle du