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révèlent une singulière puissance, et marquent la place de l’auteur parmi les écrivains les plus originaux de son temps. Pour ma part, je suis loin d’accepter ces drames comme excellens, j’ai peine à comprendre l’enthousiasme qu’ils ont excité; mais je reconnais volontiers qu’ils sont le fruit d’une volonté persévérante, d’une haute ambition. Or l’ambition et la volonté sont précisément ce qui manque à la plupart des écrivains d’aujourd’hui. La seule pensée qui les domine, qui les anime et les conduise, c’est la pensée du succès qui se traduit en profit. Quant aux doctrines littéraires affirmées, combattues et défendues de 1830 à 1848, ils ne s’en soucient guère, et sourient toutes les fois qu’ils en entendent parler. Victor Hugo et Alexandre Dumas, quand ils écrivaient pour le théâtre, obéissaient à des convictions sincères; leur unique préoccupation n’était pas de réussir : ils voulaient assurer le triomphe de leurs idées, et, pour atteindre ce but, ils ne craignaient pas de heurter de front, de blesser profondément les idées reçues. Que voyons-nous aujourd’hui autour de nous? Se passe-t-il rien de pareil? Lorsqu’il s’agit de théâtre, qui donc oserait parler de théories? Il s’agit avant tout de faire une bonne affaire. La théorie est abandonnée, comme un futile délassement, aux hommes assez mal nés ou assez mal élevés pour ne rien comprendre à l’industrie. Parlons donc avec respect, avec déférence, du mouvement dramatique accompli en France de 1830 à 1848. Quels que soient en effet les reproches mérités par Victor Hugo et Alexandre Dumas, on ne peut contester la hardiesse de leurs tentatives et la sincérité de leurs convictions. S’il leur est arrivé de se tromper, -et je n’essaierai pas de le nier, du moins ils visaient très haut, et ne prenaient pas alors le caissier du théâtre pour arbitre souverain. Il est trop vrai que Christine à Fontainebleau et Charles VII chez ses grands vassaux excitent aujourd’hui plus de surprise que de sympathie; il y a pourtant dans ces deux drames un effort vigoureux qui mérite d’être compté. Condamnons, c’est notre droit, l’exagération des sentimens, l’emphase du langage, les sacrifices trop fréquens offerts à la rime, mais reconnaissons en même temps que Charles VII et Christine dominent de bien haut les travaux présens de M. Alexandre Dumas et la plupart des tentatives dramatiques auxquelles nous assistons.

Alfred de Vigny n’a écrit que deux fois pour le théâtre, et se sépare nettement de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas. La Maréchale d’Ancre et Chatterton ne relèvent ni de Marion Delorme ni de Christine à Fontainebleau. Ce qui recommande les deux drames d’Alfred de Vigny, c’est tout à la fois le soin exquis de la forme et l’élévation constante des pensées. La Maréchale d’Ancre est encore aujourd’hui une œuvre très digne d’étude. Il y a trop d’événemens, et les