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pas difficile sur le choix des moyens : tout incident, neuf ou vieux, lui est bon, pourvu qu’il prolonge le récit. Ces deux livres, si vantés, si populaires, sont une lanterne magique plutôt qu’une narration sérieuse. L’auteur traite ses lecteurs comme de grands enfans, et le succès lui a donné raison; mais il est permis à ceux qui vivent dans le commerce des écrivains d’une autre famille de se montrer plus sévères : la popularité de Monte-Cristo et des Mousquetaires ne doit pas les désarmer. Dire qu’Alexandre Dumas amuse la foule, c’est lui rendre justice; ajouter qu’il se joue de toutes les lois littéraires, c’est rendre hommage à la vérité.

Chose singulière au premier aspect, et qui ne surprendra pas les esprits clairvoyans : de toutes les formes littéraires inaugurées sous le gouvernement de juillet, la forme dramatique est celle qui a le plus vieilli, et c’était pourtant celle qui se donnait comme la plus nouvelle. Les poètes lyriques n’affichaient pas la prétention de surpasser Pindare et Simonide; les romanciers n’osaient pas traiter avec dédain Fielding et Richardson; quelques-uns même se donnaient pour les disciples de Walter Scott. Les poètes dramatiques le prenaient de plus haut, et n’hésitaient pas à déclarer qu’ils voulaient, qu’ils espéraient, qu’ils sauraient régénérer le théâtre. J’entends parler ici de ceux qui composaient l’école fondée sous la restauration, et dont les œuvres ont défrayé tant de discussions. A côté de ces œuvres, qui avaient au moins le mérite de ramener l’attention publique sur les conditions fondamentales de l’art, il y en avait d’autres, d’un ordre moins élevé, que le public applaudissait ou qu’il laissait mourir dans la solitude, et qui ne relevaient d’aucune école. Pour peu cependant qu’on prenne la peine de réfléchir, on ne doit pas s’étonner que les œuvres dramatiques conçues selon les théories de l’école nouvelle de 1830 à 1848 nous paraissent aujourd’hui appartenir à une époque lointaine ; sauf de très rares exceptions, elles peuvent être comparées à des plantes de serre chaude. Elles manquent généralement de spontanéité, et semblent destinées à soutenir une thèse. Or il est facile de comprendre qu’un drame enfanté dans de telles conditions perde à peu près tout son intérêt dès que la discussion où il figurait comme argument s’est apaisée. Soyons justes pourtant, et ne condamnons pas sans réserve les tentatives dramatiques de notre pays, de 1830 à 1848.

Si les sentimens exprimés par Victor Hugo et Alexandre Dumas nous paraissent aujourd’hui manquer de vérité, ce n’est pas une raison pour méconnaître la hardiesse et l’habileté dont ils ont fait preuve. Oui, sans doute, Marion Delorme, Hernani, le Roi s’amuse, Ruy-Blas et les Burgraves nous étonnent comme des rêves étranges; il ne faut pourtant pas oublier que ces rêves, condamnés par le goût,