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nom d’Alfred de Musset. Les Contes d’Espagne et d’Italie nous avaient révélé une imagination ardente, un esprit ingénieux et hardi. La franchise de son allure, son langage cavalier, effarouchaient la pruderie et déroutaient toutes les théories : c’en était assez pour mettre le jeune poète à la mode, c’était trop peu pour fonder sa renommée. L’imitation de Régnier tenait d’ailleurs trop de place dans Don Paêz pour ne pas laisser quelques doutes sur l’originalité de l’auteur; aussi n’a-t-il pas tardé à se dégager du souvenir de Macette. Si j’avais à désigner dans le recueil de ses œuvres les pièces que je préfère, et qui marquent à mes yeux le rang qui lui appartient, je n’hésite rais pas à nommer Namouna et les quatre Nuits, où s’est épanchée son âme tout entière. Dans Namouna, à côté d’une fine raillerie, nous trouvons des strophes éloquentes sur Lovelace et Don Juan. Dans les Nuits, nous entendons le bruit des sanglots qui s’échappent de la poitrine du poète; ce n’est pas une œuvre conçue à loisir, ciselée avec patience, c’est un cri déchirant arraché par la douleur. Aussi, pour moi, ces pages éplorées sont les plus belles qu’Alfred de Musset ait jamais écrites.

Dans le domaine du roman, la France, de 1830 à 1848, a produit des œuvres dignes d’une sérieuse attention. Aujourd’hui que nous sommes séparés des émotions de la lutte par un long espace de temps, nous éprouvons un profond étonnement en nous rappelant tout ce qui a été dit sur ces livres signés de noms éclatans, et qui n’ont plus, pour nous intéresser, que leur propre valeur. Si je ne craignais pas d’être classé parmi les panégyristes du temps jadis, je dirais que c’était le bon temps. À cette époque, la publication d’un roman conçu par un esprit puissant était un véritable événement. On se passionnait, on se querellait pour la destinée des personnages; on ne riait pas des lettres adressées à Richardson pour sauver Clarisse. C’était là le beau côté de l’ardeur littéraire; mais cette ardeur même condamnait le goût public à de singulières méprises. Notre-Dame de Paris parut en mai 1831, et ce roman, dont je n’entends pas contester le mérite, fut salué comme l’aurore d’une véritable régénération. Aux yeux des disciples fervens, c’était quelque chose de mieux qu’Ivanhoe. Depuis vingt-quatre ans, l’opinion publique s’est quelque peu modifiée à l’endroit de Notre-Dame de Paris. Les bons esprits rendent pleine justice au talent descriptif de l’auteur; mais ils reconnaissent en même temps que dans cette œuvre populaire, et dont la popularité s’explique facilement, il y a bien des parties fausses, bien des chapitres désavoués par le bon sens et par l’histoire. L’amour de la Sachette pour sa fille est plutôt l’amour d’une lionne pour son lionceau que l’amour d’une femme pour son enfant. Et s’il faut résumer d’un mot le sentiment des âmes délicates, je dirai que dans cette