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donné le ton au poète nouveau ; mais cette parenté n’exclut pas l’originalité. La Popularité, la Curée, l’Idole, méritent l’attention et la sympathie de tous les esprits élevés par la grandeur des pensées, par la noblesse du but que le poète se propose, et par le maniement des images. L’analogie, dont les grands maîtres de l’antiquité tenaient compte avec une vigilance si assidue, a trouvé dans Auguste Barbier un fervent et fidèle adorateur, et, parle seul respect de l’analogie, il a conquis sur la foule une autorité, une puissance d’action que les intentions les plus généreuses n’auraient jamais réussi à lui assurer. Ce n’est pas d’ailleurs la source unique de sa renommée. Il ne se contente pas de manier les images en artiste consommé : quand il s’agit de frapper un grand coup, il ne recule pas devant le mot propre, devant ce que les rhéteurs appellent l’expression crue, et comme il sait préparer, comme il sait justifier cette hardiesse, il est très rare qu’il ne réussisse pas à émouvoir d’un mot plus profondément que ne ferait un poète amoureux de la périphrase. Le Pianto et Lazare nous ont montré le talent d’Auguste Barbier sous un aspect que les lombes ne permettaient pas de pressentir. Sous le ciel de l’Italie, dans la solitude du Campo-Vaccino, sur les dalles brûlantes de la Mergellina, dans le cimetière de Pisé, animé par le pinceau de Giotto, de Benozzo Gozzoli et d’Orcagna, dans les lagunes de Venise, il a trouvé des pensées que l’antiquité ne désavouerait pas, et qui attestent chez lui l’étude des grands modèles, sans que son originalité se démente un seul instant. Quant au poème de Lazare, si parfois la méditation philosophique y prend la place de l’émotion poétique, c’est cependant une plainte éloquente sur les misères de notre civilisation, sur l’envahissement de la nature par l’industrie. Il me suffira de rappeler les pages consacrées aux collines de la verte Érin et le Minotaure pour montrer que l’auteur des Iambes a conservé toute l’élégance et toute la vigueur de son talent.

Tandis que toutes les voix répétaient à l’envi l’Idole et la Curée, un poète nouveau, d’une nature toute diverse, offrait à la foule étonnée ses premiers chants. L’auteur de Marie débutait presque en même temps que l’auteur des Iambes. Je n’ai pas à caractériser ce touchant recueil d’élégies, qui est demeuré gravé dans toutes les mémoires ; mais je me plais à rapprocher les noms de Brizeux et de Barbier, parce qu’ils représentent deux pensées également sincères, également loyales, et que la sincérité est pour une bonne part dans leur popularité. Chacun sent, en les écoutant, que leurs paroles sont dictées par une émotion vraie, et ne sont pas un jeu d’esprit. Avant de les admirer, on les aime, et c’est le cœur, bien plus que l’esprit, qui plaide et gagne leur cause.

Cette liste, déjà si glorieuse, serait incomplète, si j’oubliais le