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les parties de la France. Il ne m’appartient pas de raconter tout ce que la science a gagné en précision, en évidence, en autorité, pendant ces dix-huit années. Je laisse à des écrivains plus compétens le soin de montrer, preuves en main, tout ce qu’il y a de généreux et d’élevé dans les travaux accomplis pendant cette période, sans autre préoccupation que la vérité. Pour moi, je dois me contenter d’une tâche plus modeste et moins difficile. Il me suffira de résumer sous une forme générale les vœux et les espérances de la philosophie sous le gouvernement de juillet. Or, si je ne me trompe, ses vœux et ses espérances n’allaient pas à moins qu’à constituer la science de l’homme moral aussi solidement que la science de l’homme physique : elle voulait mettre la psychologie sur la même ligne que la physiologie dans le domaine scientifique. La pensée que je rappelle ici a trouvé dans Théodore Jouffroy un éloquent interprète. Parmi ceux qui prennent à cœur les progrès et l’autorité de la philosophie, il n’y en a pas un qui ait oublié l’admirable préface placée en tête des Esquisses de Philosophie morale de Dugald Stewart. C’est là que Théodore Jouffroy a déposé le secret de son ambition et de ses espérances; c’est là qu’il a exprimé dans une langue harmonieuse et précise comment il comprenait, comment il voulait agrandir la science à laquelle il avait voué sa vie. Doué d’une rare sagacité, d’une infatigable persévérance dans l’observation, il n’a pas eu de peine à démontrer que l’étude des phénomènes intellectuels, si décriée par les hommes dont toute l’attention se concentre sur le monde extérieur, est aussi précise, aussi certaine que l’étude des phénomènes de la circulation et de la respiration. Théodore Jouffroy peut être à bon droit considéré comme le représentant le plus original de la philosophie pendant cette période de dix-huit ans. Le vœu qu’il avait exprimé, il a tenté de le réaliser, et si la mort n’eût interrompu ses travaux, il est probable qu’il eût élevé un monument philosophique d’une haute importance. Cependant, malgré la brièveté de sa vie, il occupe dans l’histoire de la philosophie une place considérable, et que personne ne saurait lui contester. Le chef de l’école écossaise, Reid, dont il a traduit toutes les œuvres avec une élégante fidélité, ne le surpasse pas en précision. Le cours de droit naturel professé à la Sorbonne restera comme un modèle achevé d’exposition et de discussion. Dans cette narration savante, tous les systèmes de morale sont expliqués et appréciés avec une rare pénétration. C’est un livre précieux qu’on ne pourra se dispenser de consulter. Quiconque voudra savoir quelles erreurs l’esprit humain a dû traverser avant d’apercevoir la vérité morale, avant de se former une idée complète du juste et de l’injuste, du devoir et du droit, devra interroger avec un soin scrupuleux les travaux