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l’histoire. Au lieu de se contenter de raconter les batailles gagnées ou perdues par la France, il se laisse aller au plaisir de discuter les batailles qui pouvaient se livrer; il se souvient trop de ses conversations avec le général Jomini. C’est une belle chose sans doute que de savoir si l’armée autrichienne pouvait être prise en flanc, en écharpe ou à revers; mais tous les lecteurs qui ne sont pas voués à la profession militaire se contenteraient du simple récit de la bataille livrée. Les détails dans lesquels se complaît M. Thiers, très intéressans pour les élèves de Saint-Cyr, de Metz ou de l’école d’état-major, ne laissent souvent dans la mémoire de la foule qu’une trace confuse. Le récit de la bataille de Hohenlinden justifie pleinement ce que j’avance. Et cette profusion de savoir ne se présente pas seulement dans les actions militaires, elle se rencontre au même degré dans les transactions diplomatiques et dans l’exposé des mesures administratives. M. Thiers, qui connaît à fond tous les sujets dont il nous entretient, discute les négociations comme les batailles. En traitant de la confédération germanique, il compose une monographie savante, au dire des hommes compétens, et ne paraît pas s’apercevoir que le récit reste suspendu. Je pourrais adresser le même reproche au livre consacré à l’expédition de Boulogne. C’est un expose très complet, sans aucun doute, des moyens accumulés par Napoléon pour terrasser l’Angleterre; mais chacun conviendra qu’il était possible de restreindre cet exposé dans des limites plus étroites.

Toutefois il faut reconnaître que l’Histoire du Consulat et de l’Empire, bien qu’elle s’écarte parfois des conditions du genre purement historique, est un livre que les générations futures consulteront toujours avec profit. Il est permis de croire que l’auteur, en raison de sa position exceptionnelle et de l’infatigable curiosité de son esprit, n’a négligé, n’a omis aucune source d’informations. Je regrette seulement que dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, comme dans l’Histoire de la Révolution française, il ait trop souvent confondu le triomphe de la force avec le triomphe du droit. L’auteur se laisse trop facilement éblouir par l’éclat du génie, et condamne trop légèrement les causes vaincues. Pour lui, le juste est ce qui réussit; la cause qui succombe est la cause de l’erreur. Ce n’est pas ainsi que Tacite comprenait sa tâche, et la postérité se rangera du côté de Tacite.

Ce qui caractérise le mouvement philosophique de la France de 1830 à 1848, c’est un amour ardent de l’indépendance dont le développement de la raison ne saurait se passer. M. Cousin se taisait, mais il avait imprimé aux études philosophiques une impulsion puissante, et le souvenir de ses leçons éloquentes animait les jeunes élèves de l’École normale, qui allaient semer sa parole dans toutes