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chagrins qui voudraient contester l’exactitude de quelques détails.

Les Considérations sur l’Histoire de France, qui précèdent les Récits mérovingiens, nous offrent l’exposé complet et précis de tous les systèmes imaginés pour expliquer les origines de notre monarchie. Il est impossible de lire sans étonnement ce récit des aberrations de l’intelligence française. M. Thierry, qui sait par expérience ce que coûte la conquête de la vérité, apprécie sans colère et sans amertume les travaux de ses devanciers. Il juge avec une sincérité parfaite les étranges imaginations de l’abbé Dubos et de Boulainvilliers. Il proclame avec raison, comme le point de départ de la vraie science, les investigations laborieuses de Valois, qui n’a eu que le tort d’écrire sous le nom de Valesius. Pour les érudits, ce n’est pas une objection; mais pour les gens du monde c’est un grave inconvénient, et sans les révélations de M. Thierry, Valesuis courait grand risque de demeurer éternellement ignoré de cette foule d’esprits très prompts, très agiles, qui ne demandent pas mieux que de s’instruire, pourvu que l’on se borne à leur parler la langue de leur pays. Je considère cette introduction aux Récits mérovingiens comme un des plus savans traités qui existent sur la matière, et je ne parle pas seulement en mon nom, mais au nom de tous les hommes compétens qui, par leurs études spéciales, ont conquis une légitime autorité. Aujourd’hui, au milieu des documens qui se multiplient chaque jour, nous avons peine à comprendre toutes les fables imaginées pour la formation et le développement de la nation française. Il semble que le plus court chemin pour arriver à la vérité était celui qui devait se présenter le premier; mais ceux qui ont étudié l’histoire des sciences savent depuis longtemps à quoi s’en tenir sur la valeur de cette croyance. L’astronomie, la physique, la chimie, sont là pour démontrer qu’avant de recourir à l’investigation directe de la vérité, l’esprit humain s’est consumé en efforts impuissans, en folles rêveries. La science historique a subi le sort commun de toutes les sciences.

L’Essai sur la formation et les développement du Tiers-État a modifié sans doute sur quelques points particuliers les premières doctrines de l’auteur. Cependant il est impossible de ne pas voir dans ce dernier livre l’application et la confirmation des idées émises dans les Lettres sur l’Histoire de France. Que des faits nouveaux aient rendu M. Thierry plus indulgent pour la puissance royale, je ne veux pas le nier; mais ces faits nouveaux n’ont pas dépravé ses instincts démocratiques, et malgré son indulgence pour la puissance royale, il n’a vu dans la série des événemens accomplis que l’éducation de la liberté politique sous la tutelle des franchises municipales. Il n’a pas menti à son passé. Si le spectacle des événemens contemporains a jeté quelque trouble dans ses convictions,