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m’était permis d’employer une comparaison vulgaire, je le rangerais volontiers dans la classe des enfans terribles. Proclamer à tous propos la nécessité de l’immobilité, les périls du mouvement, est une étrange manière d’affermir la foi monarchique et la foi catholique : c’est un aveu qui ressemble à une trahison.

Les travaux historiques accomplis de 1830 à 1848 se personnifient dans trois écrivains, MM. Augustin Thierry, Jules Michelet et Adolphe Thiers. M. Mignet a publié sur la succession d’Espagne un mémoire plein d’érudition et de lucidité, vrai modèle du genre; mais tant qu’il n’aura pas donné son travail, promis depuis vingt-cinq ans, sur la réforme, la ligue et le règne de Henri IV, nous serons forcés de chercher l’expression la plus complète de sa pensée dans son tableau de la révolution française publié sous la restauration.

Bien que l’ouvrage le plus considérable de M. Augustin Thierry remonte à l’année 1825, cet historien éminent, qui se rattache aux grandes écoles de l’antiquité par l’alliance heureuse de la science et de l’art, a joué dans le mouvement littéraire de notre pays, sous le règne de Louis-Philippe, un rôle que personne ne peut oublier. Ses Lettres sur l’Histoire de France, ses Récits mérovingiens, son Essai sur la formation et les développement du Tiers-État sont des monumens qui n’ont rien à redouter des investigations futures. C’est dans les Lettres sur l’Histoire de France qu’il faut chercher les premiers vagissemens de la liberté municipale. Toute la seconde moitié de ce recueil peut être considérée comme un modèle de narration. Il semble que l’illustre écrivain ait pris à tâche de montrer aux poètes de notre temps que les in-folios de dom Bouquet renferment les matériaux d’un autre Ivanhoe. Les luttes courageuses de la commune de Laon seront pour les futurs historiens de notre pays un éternel sujet d’étude et d’émulation. La première moitié de ce livre, consacrée à l’examen critique des historiens de la France, se distingue par une rare sagacité, et je pourrais ajouter par une rare modération, car il faut se contenir pour ne pas éclater de rire ou ne pas s’emporter envoyant les premiers annalistes de notre pays chercher dans Clovis ou dans Charlemagne l’image de François Ier ou de Louis XIV. On a beaucoup reproché à M. Thierry d’avoir substitué aux noms consacrés depuis longtemps pour la première race les appellations germaniques. Pour ma part, je suis très loin de m’associer à ce reproche : la seule manière de rétablir dans son vrai jour la race mérovingienne était de lui restituer sa physionomie purement germanique, et comme les impressions reçues par les sens jouent un rôle immense dans le développement et dans la durée de nos idées, je ne crois pas que l’auteur des Lettres sur l’Histoire de France pût se dispenser de rendre aux noms de nos premiers rois l’orthographe qui leur appartient. Pourtant