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intellectuel accompli chez nous dans l’espace de dix-huit années. C’est aux écrivains qui ont pris part à la lutte, qui ont été mêlés activement à la discussion suscitée par ce travail, qu’il appartient de rétablir la vérité et de montrer ce que l’esprit français a voulu et tenté de 1830 à 1848, ce qu’il a réalisé, ce qu’il a légué aux générations futures en œuvres et en leçons. Ici, je le sens bien et je n’ai pas besoin qu’on me le rappelle, je me trouve placé en face du danger que je signalais tout à l’heure ; mais grâce à Dieu, malgré mon profond respect pour toutes les convictions politiques ou religieuses que je crois sincères, je suis habitué à juger la littérature d’après des principes purement littéraires, et cette habitude simplifie singulièrement ma tâche, en circonscrivant le champ de mes investigations. Or le trône de saint Louis et la chaire de saint Pierre n’ont rien à démêler avec les questions de goût. Juger l’art au point de vue catholique ou monarchique, c’est vouloir se tromper de gaieté de cœur.

Pour étudier avec profit le mouvement littéraire de la France de 1830 à 1848, 51 ne suffit pas de l’envisager sous un triple aspect : sous l’aspect historique, sous l’aspect philosophique, sous l’aspect poétique. Bien que ces trois formes de la pensée résument la pensée tout entière, ce triple examen doit demeurer stérile si l’écrivain qui entreprend cette tâche n’aime pas d’un amour sincère l’histoire, la philosophie et la poésie. Or M. Nettement nous paraît précisément placé dans cette fâcheuse condition. Je ne crois pas le calomnier en affirmant qu’il n’aime ni l’histoire, ni la philosophie, ni la poésie, et les motifs de sa répugnance ne sont pas difficiles à comprendre. Étant donné sa profession de foi, qu’il reproduit presque à chaque page, il ne peut accepter ni l’étude impartiale des faits, ni la recherche des idées premières, ni le libre développement de l’imagination. L’étude impartiale des faits ébranle trop souvent la vénération qu’il voudrait assurer sans retour à la monarchie traditionnelle. La recherche des idées premières offre à sa foi le même danger, peut-être même un danger plus terrible, puisqu’elle remet en question toutes les croyances. Quant à la poésie, dès qu’elle se développe librement, elle doit lui déplaire, puisqu’elle se propose la peinture des passions. Je ne veux pas accuser M. Nettement de mauvaise foi, j’accepte volontiers comme sincères tous les reproches qu’il adresse à la littérature de son temps ; mais je crois avoir le droit de lui dire que sa profession de foi devait lui interdire la tâche qu’il vient d’accomplir. Ses doctrines concluent à l’immobilité. Il est donc parfaitement logique en plaidant pour l’immobilité. Il se rendrait coupable d’inconséquence en plaidant pour le mouvement ; sa faute n’est pas d’avoir écrit ce qu’il a écrit, car il ne pouvait pas écrire autre chose,