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difficultés incontestables, dont le succès pourtant est certain, soit que l’achèvement du barrage du Nil suffise pour assurer le tirant d’eau demandé, soit qu’on en vienne à la ressource dispendieuse, mais sûre d’un pont-canal.

Le port d’Alexandrie fournit dans la Méditerranée un excellent débouché, le port de Suez au contraire ne saurait être utilisé; mais un nouveau port et une rade abritée peuvent être établis avec succès sur un autre point du golfe.

L’exécution du canal et celle du chemin de fer devraient être menées de front. Chacune de ces voies a son utilité spéciale, et le trafic est plus que suffisant pour toutes deux.

La dépense de l’entreprise, comprenant le canal, le chemin de fer, le port et la rade de Suez, serait au plus de 300 millions.

En présence d’un mouvement commercial qui dépasse déjà 2 millions de tonnes, et qui est destiné à croître rapidement, les avantages que présente cette entreprise sont largement suffisans pour en assurer l’exécution immédiate. L’Egypte et la Turquie, jusqu’ici fort contraires à toute tentative de ce genre, se montrent aujourd’hui mieux disposées ; mais le vif intérêt que témoignent la plupart des puissances européennes pour cette question est tenu en échec par l’indifférence ou même par l’opposition de l’une d’entre elles. C’est là qu’est aujourd’hui la véritable, la seule difficulté, et il ne servirait de rien d’en dissimuler les causes ou l’importance. Tant qu’elle ne sera pas résolue, tant que subsisteront les oppositions ouvertes ou dissimulées que soulève aujourd’hui ce projet, toutes les tentatives faites pour le réaliser resteront sans résultat. Qu’on se mette d’accord, qu’une solution diplomatique intervienne, que l’usage et la neutralité du canal soient réglés par une convention internationale, et cette grande œuvre s’accomplira d’elle-même. Les obstacles matériels, dont on fait tant de bruit, disparaîtront devant les ressources de l’art moderne. On cessera de prétendre qu’un canal dont la plus grande difficulté consiste à franchir un faîte élevé de 18 ou au plus de 31 mètres est impossible, et quelques années suffiront pour assurer au monde la jouissance d’une œuvre qui, par son importance et par les conséquences qu’elle doit produire, ne saurait être comparée à aucune autre.


PAULIN TALABOT.