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à exécuter les manœuvres suivantes : débarquer la cargaison sur le quai de Suez, la mettre en wagons, la décharger sur le quai d’Alexandrie, et la mettre à bord du navire méditerranéen. Le navire venant de l’Inde perdra au moins un jour pour venir se mettre à quai et se préparer au débarquement; la marchandise débarquée le premier jour parviendra au plus tôt à Alexandrie le surlendemain. Ce n’est donc que le cinquième jour à partir de l’arrivée du navire de l’Inde qu’on pourrait commencer le chargement du navire européen, et comme le chargement et l’arrimage de ce navire exigeraient au moins cinq jours, il en résulte que le temps employé à traverser l’isthme serait, dans ce cas, de neuf jours au moins au lieu de quatre. Encore ai-je supposé qu’un navire prêt à partir attendait le chargement à Alexandrie; mais s’il n’en est rien, si ce port ne contient aucun navire disponible, s’il faut attendre un nolisement, qui peut dire jusqu’où iront les pertes de temps et d’argent, et pendant ce temps que deviendra la marchandise? Restera-t-elle à bord? Sera-t-elle mise en magasin à terre? Je mentionne en passant l’obstacle insurmontable que mettrait ce système au transport d’une mer dans l’autre des marchandises en vrac, et entre autres de la houille, et je viens à une objection décisive selon moi.

Les navires ne peuvent pénétrer dans les mers de l’Inde orientale et de la Chine ou en sortir qu’à l’aide de la mousson. Pendant six mois, on peut aller dans ces mers, mais on ne peut en revenir; pendant six mois, on peut en revenir, mais on ne peut y aller. Qu’en résulte-t-il? C’est que les navires partis de ces mers au commencement de la mousson d’été seront forcés d’attendre à Suez, dans ces parages dépourvus de tout, même d’eau, le retour de la mousson d’hiver. Or pendant ce temps, avec le canal maritime, ce même navire, avec son équipage, aurait poursuivi son voyage jusqu’à Londres, et serait revenu à Suez avec un chargement de retour, en sorte qu’on aurait économisé avec le canal l’emploi du navire supplémentaire que nécessite le chemin de fer.

La navigation européenne serait également, dans ce système, grevée d’une perte de temps considérable, car les navires arrivés à Alexandrie avec les marchandises destinées pour l’Inde seraient forcés d’y attendre l’arrivée des bâtimens de l’Inde pour trouver une cargaison de retour. On aurait à la vérité, dans la Méditerranée, la ressource des voyages liés, qui manque presque entièrement dans l’autre mer; mais cette ressource ne pourrait profiter qu’à un bien petit nombre de navires.

Le chemin de fer ne saurait, on le voit, être considéré à lui seul comme une solution complète de la communication des deux mers;