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dépasse les ressources de l’art, existent naturellement à Alexandrie, qui semble prédestinée à servir d’origine au canal des deux mers. Alexandrie possède deux ports : l’un à l’ouest, appelé le port vieux, et l’autre à l’est, connu sous la dénomination de port neuf. C’est dans le port vieux que déboucherait le canal; c’est en effet celui dont la situation, les abords et la nature du fond se prêtent le mieux à l’établissement d’une passe commode et sûre pour l’entrée de cette grande voie navigable. Le port vieux forme l’extrémité orientale d’une magnifique rade entièrement fermée par une ligne de rochers en partie cachés sous l’eau et en partie apparens à la surface.

Cette rade, qui, par son étendue et sa profondeur, serait susceptible de recevoir les flottes les plus nombreuses, n’est abordable que par trois passes. Les deux extrêmes, de 3 à 4 brasses de profondeur seulement, sont sinueuses et difficiles : celle du centre, dont la moindre profondeur est de 5 à 6 brasses, et dont la largeur est de 300 mètres, pourrait, dans des eaux tranquilles, suffire à tous les besoins; mais l’agitation habituelle de la mer ne permet pas d’y faire entrer des bâtimens calant plus de 7 mètres. Il résulte même d’une lettre de l’amiral Brueys, remarquable par sa date (9 juillet 1798, vingt-deux jours avant la bataille d’Abouqyr), que, malgré une récompense de 10,000 francs offerte aux pilotes du pays, aucun d’eux ne voulut se charger de faire entrer dans la rade les navires dont le tirant d’eau excédait 6m50. M. Gratien Lepère[1] pense qu’il serait facile d’approfondir un peu cette passe. Il propose à la vérité, pour y parvenir, des moyens peu praticables; mais avec les ressources dont on dispose aujourd’hui, et vu la nature de la roche tendre qui forme l’enceinte de la rade, cette opération ne présenterait aucune difficulté sérieuse. L’insuffisance du tirant d’eau de la passe est beaucoup aggravée par l’agitation habituelle de la mer et par la nature et l’irrégularité du fond; un navire marchant à la voile et déviant un peu du chenal de la passe praticable pour son tirant d’eau est exposé à toucher, ce qui entraînerait sa perte immédiate. Enfin la rade d’Alexandrie présente un autre inconvénient grave, c’est que la sortie est très difficile, et même à peu près impossible, par les vents compris entre l’ouest-sud-ouest et l’est-nord-est, qui sont les plus forts et les plus habituels dans ces parages. L’emploi des bateaux à vapeur pour remorquer les bâtimens, tant à l’entrée qu’à la sortie, ferait disparaître ce dernier inconvénient et atténuerait beaucoup les dangers que présente la passe. Avec cette ressource, on pourrait, je crois, la considérer comme habituellement praticable pour les bâtimens de 7 mètres de tirant d’eau.

  1. Description de L’Egypte, t. XVIII.