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nature à m’inspirer des doutes sur l’exactitude des données alors recueillies. Cependant l’habileté et la réputation des ingénieurs qui avaient opéré par eux-mêmes ces nivellemens, la vérification qu’ils croyaient en avoir faite au moyen de la crue extraordinaire de 1800, enfin le témoignage de M. Linant, qui habite l’Egypte depuis longtemps et qui connaît parfaitement les lieux, tout se réunissait pour confirmer les résultats obtenus par les ingénieurs de l’expédition.

Toutefois, il fallait bien le reconnaître, ces résultats avaient quelque chose d’extraordinaire et de contraire aux lois mathématiques. L’énorme dénivellation qu’ils établissent entre les deux mers, sur une distance d’à peine 140 kilomètres, était tout à fait inexplicable; aussi était-elle restée inexpliquée. On ne pouvait l’attribuer aux vents qui règnent dans la Mer-Rouge, car ces vents soufflent, pendant la plus grande partie de l’année, de la région du nord, et ils tendraient plutôt à abaisser le niveau de cette mer qu’à l’élever. D’ailleurs, quel phénomène prodigieux ne serait-ce pas qu’un vent régnant assez violent et assez constant pour soulever les eaux d’une mer entière de 9 mètres! Les courans observés, soit dans cette mer, soit au détroit de Bab-el-Mandeb, soit dans la mer des Indes, n’ont rien d’extraordinaire; aucun fait donc ne pouvait justifier ce résultat, et j’étais, je l’avoue, vivement préoccupé de ce défaut de justification d’un phénomène aussi merveilleux et de l’absence de toute vérification des opérations des ingénieurs de l’expédition. Cependant, en présence de résultats positifs, affirmés par des hommes d’un mérite éminent, confirmés par les études locales de M. Linant de Bellefonds, je ne pouvais pas hésiter, et j’ai dû accepter comme certain qu’une différence notable de niveau existait entre les deux mers; j’ai dû admettre que les seules questions à éclaircir étaient la quotité exacte de cette différence et la disposition géométrique du sol de l’isthme qui les sépare.

C’est d’après ces considérations que furent préparées les instructions de la brigade française, instructions qui limitaient les études au terrain compris entre le Caire, Suez et Tineh. Si je n’avais été convaincu de l’exactitude des opérations de 1799, j’aurais certainement ajouté la direction du Caire à Alexandrie; mais, confiant dans le résultat de ces opérations, j’ai dû m’abstenir de prescrire un travail long, dispendieux, et, selon toutes les probabilités, sans intérêt. La brigade française fut mise sous la direction de M. Bourdaloue. ingénieur habile et expérimenté, qui en matière de nivellement jouit d’une autorité incontestée, et qui depuis trente ans a exécuté sous ma direction des opérations très étendues et très multipliées. Elle se composait d’un géomètre triangulateur, d’un chef des nivellemens et de huit opérateurs exercés. Cette brigade, munie d’excellens