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avaient eu aucune part. De pareilles considérations ne sauraient prévaloir contre des textes positifs, et tout ce qu’il est raisonnable d’en conclure, selon moi, c’est que ces deux ouvrages appartiennent à des époques très éloignées l’une de l’autre, ce qui est d’accord avec l’histoire et avec la tradition.

Le lit de la section du canal de Suez, qui était originairement à 1 mètre au-dessus de la basse mer, a été encombré par les dépôts et par les sables mouvans sur une hauteur variable de 0m80 à 1m50. Sur quelques points, il disparaît même complètement. Les partisans de l’opinion d’après laquelle le canal n’aurait jamais été utilisé se sont étayés sur l’absence d’alluvions fluviales, soit dans le bassin des lacs amers, soit dans le canal de Suez; mais en premier lieu rien ne prouve qu’une portion des dépôts qui remplissent aujourd’hui le canal et le fond du bassin ne provienne des eaux du Nil, et on pourrait citer plusieurs localités où les eaux de ce fleuve ont, sans aucun doute, longtemps circulé, et où l’on ne retrouve aujourd’hui que des sables; de plus, il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce que les eaux du Nil, sortant du bassin des lacs amers, fussent relativement assez claires. Il est probable en effet que la plus grande partie des dépôts avait lieu à l’entrée de ce bassin, et toute la partie septentrionale est aujourd’hui si complètement envahie par les dunes, qu’il est même impossible d’y distinguer les traces de l’embouchure du canal, et bien moins encore les dépôts que les eaux du Nil peuvent y avoir apportés il y a douze ou même vingt-quatre siècles.

On remarque dans le bassin des lacs amers des laisses de coquillages placées à des hauteurs diverses. Sous l’influence d’un climat conservateur et grâce à la solitude du désert, ces laisses fragiles se sont conservées jusqu’à nous, et elles témoignent aujourd’hui et témoigneront longtemps encore d’un état de choses qui remonte à dix siècles, et peut-être au-delà. Les plus élevées d’entre elles sont de 1m92 à 2m28 au-dessus de la basse mer, c’est-à-dire à peu près exactement au niveau des hautes mers de vive eau. On en a conclu que les lacs amers communiquaient jadis librement avec la mer; on en trouvait d’ailleurs la preuve dans le grand nombre d’espèces maritimes qu’on a cru reconnaître parmi ces coquillages. Enfin on attribuait les dépôts salins et les eaux amères qui remplissent aujourd’hui, comme dans l’antiquité, le fond de ce bassin, à l’évaporation des eaux de la mer enfermées dans le bassin par suite de la fermeture du canal de Suez.

D’abord il n’est point encore prouvé que les espèces maritimes soient si abondantes dans ces laisses; celles que j’ai vues sont au contraire analogues à celles que l’on rencontre dans le lac Menzaleh, et la hauteur des laisses les plus hautes prouverait seulement qu’à