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extrémité du salon, il ne quittait point des yeux la jeune fille, dont le visage, baigné de lumière, trahissait toutes les émotions. Chaque tremblement de sa voix, chaque changement de ses traits servait à révéler ce qui, dans le chant répété, traduisait ses propres sentimens. Penchée sur le piano, elle semblait se substituer de plus en plus à l’idéale fiancée, et s’abandonner, sous son nom, à une expansion involontaire. Enfin au dernier vers sa voix fléchit, et le bouquet de cyclamens, échappé de ses doigts, glissa sur le clavier d’ivoire; mais au bravo! poussé par M. de Vaureuil, debout à ses côtés, elle se retourna en tressaillant, rougit beaucoup, et courut se réfugier au coin le plus obscur du salon, derrière son tuteur.

Pendant qu’elle y recevait les félicitations des auditeurs, Hermann, qui avait tout observé, se leva pour s’approcher du piano. Il était déjà abandonné, et le bouquet avait disparu. Au même instant M. Borris coupa court aux sollicitations de plusieurs pensionnaires qui réclamaient un nouveau chant d’Henriette, en rappelant que l’on devait le lendemain se lever assez tôt pour gravir le Kulm avant le jour et y voir le lever du soleil.

Tous les pensionnaires qui s’étaient décidés à cette ascension se trouvèrent en effet réunis sur la terrasse à l’heure indiquée. Chacun s’était armé du bâton ferré et revêtu de ses plus chauds vêtemens; les domestiques portaient en outre des couvertures de laine pour ceux que le froid pourrait saisir sur ces âpres sommets. L’hôtelier s’était placé à la tête de la troupe, à laquelle il devait servir de guide. Bientôt on se mit en marche; mais, encore engourdis par les restes d’un sommeil brusquement interrompu, les voyageurs suivirent M. Franck d’abord lentement et en silence. A peine si de loin en loin quelques éclats de rire, excités par un faux pas ou par le bâillement sonore d’un des promeneurs, égayait la morne caravane, qui, dispersée dans l’étroit sentier en spirale, semblait s’enrouler péniblement autour de ce piton isolé.

Peu à peu cependant l’air vif des hauteurs et l’influence de la marche réveillèrent nos touristes, qui devinrent plus bruyans. Bien qu’il fit encore nuit, la lune s’effaçait dans le bleu du ciel, déjà moins sombre, et, à mesure qu’ils s’élevaient, l’horizon devenait plus vaste et moins obscur. Ils s’arrêtèrent à la Kanzel, qui forme comme le second étage du Selisberg, mais seulement quelques minutes. Pour atteindre le Kulm, la route était encore longue, et le temps pressait; il fallut se remettre en marche.

Bien que l’étroitesse du sentier ne permît guère d’aller de front ni d’engager un entretien suivi, les groupes dispersés le long de la pente s’étaient formés, comme toujours, selon l’intérêt, la sympathie ou l’habitude. En avant marchait l’Anglais, qui, ayant pour