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deux sanglantes défaites, le cabinet de Saint-Pétersbourg accepte ces mêmes notes, mais en thèse générale seulement et avec des réserves. C’est alors que l’Autriche conclut avec la France et l’Angleterre le traité du 2 décembre, et que la Russie accepte et signe le protocole interprétatif des notes du 8 août. Aujourd’hui elle vient de rompre les négociations engagées sur cette base, et l’on doit considérer comme perdues les espérances de paix qu’un sentiment légitime et honorable avait fait concevoir à 1 Europe. Que la responsabilité de cette rupture retombe sur qui de droit, et ni la France, ni l’Angleterre, ni l’Autriche n’auront rien à en craindre. Si les démons de la guerre sont de nouveau lâchés sur le monde, si les peuples doivent supporter des sacrifices de tout genre, s’il n’y a pas encore assez des deux ou des trois cent mille victimes humaines qui ont déjà succombé dans cette guerre effroyable, la faute n’en est pas à ceux qui, provoqués de la manière la plus inique, n’ont demandé, pour faire la paix, que des garanties contre le retour de pareilles calamités et une simple satisfaction morale pour le préjudice que l’ambition de la Russie a causé à l’univers. Il faut de nouveaux malheurs pour vaincre son opiniâtreté; il faut qu’elle élargisse le champ de la guerre, qu’elle l’étende à des pays où elle court la chance de provoquer des complications épouvantables. Eh bien! qu’elle accepte sa destinée, elle et ceux, s’il en est, qui seraient assez téméraires pour s’associer à sa fortune. Ce n’est ni à la France, ni à l’Angleterre de reculer dans cette lutte entreprise pour la défense du faible contre le fort, pour le droit contre la violence, pour la civilisation et l’indépendance de l’Occident contre l’ambition et le despotisme de l’Orient; c’est à ces deux grandes puissances, unies dans une cause si juste, de montrer dans les conseils une fermeté digne des héroïques armées qui les ont représentées sur le champ de bataille, et qui, après avoir supporté les rigueurs d’une campagne d’hiver unique sans doute dans les fastes militaires, tiennent aujourd’hui Sébastopol sous leurs batteries, et achèvent la destruction de cet arsenal où les tsars forgeaient des armes pour l’asservissement du monde.


XAVIER RAYMOND.