Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commencerait son travail non pas par l’anneau qui tient à la muraille, mais par l’autre bout de la chaîne, et se mettrait dans l’obligation d’avoir à détruire tous les anneaux l’un après l’autre. La tour Malakof, le bastion du Mât, le bastion central sont les anneaux de la chaîne. En second lieu, si les nouvelles positions de l’armée alliée étaient très fortes, elles présentaient un développement hors de proportion peut-être avec le nombre des hommes que l’on pouvait employer, même en y ajoutant les renforts qu’il était raisonnable d’attendre dans un avenir prochain. En effet, la ligne sur laquelle on se tenait seulement sur la défensive, sur le pied d’observation, c’est-à-dire la distance qui sépare Inkerman de Balaclava, ne compte pas moins de trois lieues de longueur, et le front d’attaque se développe en arc de cercle, du fort de la Quarantaine à Inkerman, sur une étendue de 8,000 mètres, qui a exigé, pour être mis dans l’état formidable où il se trouve aujourd’hui, plus de 40 kilomètres, plus de dix lieues de tranchées creusées en partie dans le roc, et dont les épaulemens ont en beaucoup de points reçu 18 ou 20 pieds d’épaisseur, afin de résister aux calibres énormes de l’artillerie russe. C’était avec âne armée de cinquante à soixante mille hommes seulement qu’on commençait de si gigantesques travaux contre une place non investie, dont la garnison a dû être souvent, comme à Inkerman, supérieure en nombre aux assiégeans, contre un arsenal dont l’inépuisable matériel, accumulé depuis des années pour la conquête d’un empire, a pu suffire aux prodigieuses consommations des six derniers mois! Je n’entrerai pas dans les détails de ce siège extraordinaire; je n’ai pas autorité pour en parler, et je confesse que, malgré toutes les sources d’information auxquelles j’ai puisé, je ne dispose pas de renseignemens suffisans pour entreprendre l’histoire si délicate de tous ces travaux d’approche, de tranchées, de construction de batteries, etc., lors même que j’aurais assez de présomption pour ne pas sentir mon incompétence. C’est une œuvre qui ne pourra être tentée que par l’un des acteurs de ce long et terrible drame. Il est cependant dès aujourd’hui quelques observations générales qu’il me sera sans doute permis de présenter.

Quand on revient sur ses souvenirs, ce qui frappe du côté des Russes depuis que nous sommes allés les trouver chez eux, c’est la vigueur de la résistance. Ils n’ont pas d’initiative, mais, en toute occasion où on les rencontre, on a affaire à une opiniâtreté merveilleuse. Il faut que nous entreprenions quelque chose pour éveiller leurs idées, mais alors ils se mettent à l’œuvre avec énergie, exécutant avec une fidélité, une discipline scrupuleuses tout ce que les livres de l’art de la guerre enseignent de faire dans tel ou tel cas donné. Il faut que le développement de nos forces et de nos