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place de guerre qui devait les encourager à reprendre confiance. Quoi qu’en dise le prince Menchikof dans son rapport, ils ne pouvaient pas craindre d’être coupés de leurs communications avec l’intérieur aussi longtemps que Sébastopol restait en leur pouvoir. Ils devaient connaître, à cent hommes près, le chiffre de l’armée à laquelle ils avaient affaire, et ils ne pouvaient pas imaginer que cette armée, à peine aussi nombreuse que la leur, eût la prétention d’investir Sébastopol, et encore moins de les y renfermer eux-mêmes. Eussent-ils été battus dans la vallée de la Tchernaïa et battus encore sur les plateaux de la Chersonèse, ils étaient toujours sûrs de conserver une sortie et leurs communications avec l’intérieur, soit par le nord, soit par le sud de la place.

Mais, tandis que l’armée russe filait sur Simphéropol, les alliés arrivaient le 27 septembre à Balaclava, et s’établissaient le lendemain au-dessus de la place, dans des positions qu’ils ne devaient plus quitter. Le sort de la campagne était fixé; ils avaient gagné par ce mouvement, et grâce à la facilité avec laquelle il s’était exécuté, des avantages d’une haute importance. Désormais leurs communications avec la mer étaient assises sur des bases certaines, infaillibles. Le service de leurs approvisionnemens était assuré contre toutes les chances des événemens naturels ou militaires. Ils avaient la certitude de pouvoir débarquer sans encombre l’immense matériel de guerre et de siège dont ils allaient avoir besoin. Enfin, et c’était là une considération d’un très grand poids, ils trouvaient sur les plateaux de la Chersonèse des positions inexpugnables, où ils défiaient en pleine sécurité, quelles que fussent d’ailleurs les vicissitudes du siège, tout ce que la Russie pouvait envoyer de forces contre eux. Ils occupaient maintenant une forteresse naturelle où ils pouvaient tout braver, et pour une armée qui opérait à six cents ou à mille lieues de chez elle, devant une des plus grandes places de guerre du monde, à la veille de la mauvaise saison, avec la perspective d’attirer sur elle toutes les ressources disponibles d’une puissance militaire telle que la Russie, c’était déjà avoir acquis des résultats de premier ordre que d’être dans une pareille situation.

Cependant, comme il faut à chaque médaille son revers, l’attaque de Sébastopol par le côté sud entraînait pour les alliés, au point de vue du but à obtenir, c’est-à-dire la prise de la place, des conditions plus difficiles que ne l’eût fait l’attaque par le côté nord. L’assiette de la position était plus solide, on avait plus de sécurité pour les opérations; mais aussi pour agir contre l’ennemi, pour faire le siège, on s’y prenait par le côté qui présentait peut-être le plus d’obstacles. Attaquer Sébastopol par le sud, c’est faire ce que ferait un homme qui, chargé de desceller une chaîne fixée dans un mur,