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le siège devant Silistrie, allaient échouer devant cette place, et, par suite de cet échec, ils repassaient sur la rive gauche du fleuve et évacuaient les principautés avant que l’année alliée eût pu se mettre sur le pied de campagne, et se pourvoir du matériel et des moyens de transport qui lui étaient indispensables pour aller chercher l’armée russe sur les bords du Danube. C’est le 1er juillet que le maréchal de Saint-Arnaud prend en quelque sorte, par un ordre du jour, position à Varna. C’était déjà dans la nuit du 29 au 30 juin que les Russes avaient levé le siège de Silistrie. Bien que l’honneur principal de la levée du siège, qui a été l’un des événemens les plus importans de la guerre, appartienne sans contredit à l’armée turque, il faut reconnaître que deux causes secondaires y ont aussi puissamment contribué. L’une, ce sont Les pertes épouvantables que l’insalubrité du climat et de la saison a fait éprouver aux Russes et devait nous faire subir à nous-mêmes, soit au repos à Varna, soit lorsque l’impatience de rencontrer l’ennemi allait si malheureusement faire entrer une de nos divisions dans la Dobrutscha; l’autre, c’était l’appréhension bien légitime qu’inspirait aux Russes l’arrivée de l’armée alliée à Varna.

Je ne sais ce que les Russes en diront quand ils écriront l’histoire à leur manière; mais ce qui est certain, c’est qu’une très grande partie des travaux, d’ailleurs très bien exécutés, qu’ils firent devant la place, avait pour but exclusif de se protéger contre la possibilité d’une diversion par les Anglais et les Français. Les tranchées qu’ils ont laissées derrière eux à Silistrie ont fait l’admiration de tous les officiers qui les ont visitées, et elles ont dû donner un pressentiment de ce qu’ils ont été capables de faire à Sébastopol comme rapidité et comme excellence de travail. Du reste, ce n’a pas été le seul genre de mérite qu’ils aient montré dans ce siège, si meurtrier pour eux, et qu’ils n’ont abandonné qu’après quarante jours de tranchée ouverte, lorsque la position compromise qu’ils occupaient, et qu’ils n’étaient plus de force à garder, les exposait à la chance d’être jetés dans le Danube. Officiers et soldats semblent avoir fait leur devoir, dans ces circonstances si tristes pour eux, avec une égale ardeur, et le nombre des généraux tués ou blessés suffirait seul à prouver que les chefs ne se ménageaient pas plus que les autres. Par un singulier hasard, le général Schilders, qui est mort des suites d’une blessure reçue devant Silistrie, était l’officier du génie qui, colonel alors, avait dirigé l’attaque de la place en 1829, et le prince Gortchakof, qu’on dit avoir été également blessé an siège de 1854, commandait comme général-major le corps de siège en 1829. C’est au siège de 1854 que se fit remarquer d’une façon particulière un capitaine du génie, M. de Totleben, qui, dit-on, est aujourd’hui général, et qui a bien mérité