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les armes pour maintenir l’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman; elles réclamaient l’évacuation des principautés, non pas seulement comme question de fait, mais comme question de droit, et, sans formuler aucun engagement précis dans les termes, elles posaient comme but de leurs efforts, comme condition de la paix à intervenir, un traité qui garantirait à l’avenir la Turquie contre des entreprises semblables à celles dont la mission du prince Menchikof avait été le prélude, qui ferait entrer l’empire ottoman dans le concert européen, en stipulant des garanties formelles et positives pour le sort des sujets chrétiens du sultan; enfin elles s’engageaient à ne retirer de la guerre, quoi qu’il pût arriver, aucun avantage particulier[1].

De son côté, la Russie rejetait en principe toute immixtion des tiers dans sa querelle avec la Turquie. Elle consentait à recevoir par l’intermédiaire de l’Autriche, mais à titre officieux seulement, les communications que pouvaient vouloir lui faire sur ce sujet les grandes puissances réunies en conférence à Vienne déjà depuis plusieurs mois. Elle refusait d’ailleurs de reconnaître officiellement l’existence de cette conférence, et elle n’avait pas encore répondu au protocole qui y avait été signé le 9 décembre 1853. Elle ne voulait pas entendre parler du projet de rattacher la Turquie à l’équilibre européen; elle prétendait ne traiter de la paix que directement, sans intermédiaire et sans assistance de personne, avec un plénipotentiaire ottoman; elle réclamait toujours la signature par la Porte de la note de Vienne; enfin elle continuait à vouloir occuper les principautés comme un gage matériel jusqu’à la conclusion du traité qui devait consacrer ses prétentions.

Telle était la position respective des belligérans à la fin du mois de mars 1854. Quant aux autres états de l’Europe, ils avaient le pressentiment qu’ils pourraient être .entraînés dans la querelle de leurs voisins, mais ils faisaient des vœux ardens pour n’être pas réduits à cette nécessité, ils prenaient des mesures pour la conjurer. Les états du Nord négociaient un traité de neutralité. Les petits princes de l’Allemagne, qui, dans leur difficile situation, croyaient pour la plupart n’avoir de garantie de la durée de leurs trônes que dans la prépondérance européenne de la Russie, faisaient au fond du cœur des vœux pour cette puissance, mais ils n’osaient pas les manifester. Ils n’osaient pas se prononcer contre l’opinion de leurs peuples; ils ne savaient non plus quelle conduite tenir entre l’Autriche et la Prusse, qui cherchaient à introduire une médiation, mais qui n’avaient pas encore pris

  1. Voyez les protocoles de la conférence de Vienne, les déclarations de guerre faites par les deux gouvernemens, les traités qu’ils ont conclus ensemble et avec la Porte.