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dans une rude campagne d’hiver où le génie bien inspiré de son chef ne lui laissait pas de relâche, la promenait à travers les boues, les glaces et les neiges, quelquefois sans pain, souvent sans souliers, toujours à peu près complètement dépourvue des secours hospitaliers, sans que son courage ait faibli, sans que nous ayons entendu parler d’aucun acte d’indiscipline collective. Il y a eu sans doute des actes de pillage et de barbarie, mais ils n’ont pas été commis par les troupes réglées du sultan. C’était le fait des Arabes-Égyptiens, qui dans le commencement de la guerre ont souvent coupé des têtes; c’était le fait des bachi-bozouks, et surtout parmi ces derniers des Albanais chrétiens catholiques, qui pillaient et maltraitaient sans pitié tout ce qui était de religion grecque jusqu’au jour où Omer-Pacha, fatigué de leurs méfaits, les a désarmés et licenciés malgré leur bravoure, malgré les services qu’ils avaient rendus en plus d’une occasion, notamment au siège de Silistrie, où ils s’étaient particulièrement distingués. Quant aux Turcs eux-mêmes, ils ne se sont jamais rendus coupables de pareilles indignités. Loin d’encourager les lâches violences, leurs généraux payaient une prime pour les prisonniers qu’on leur amenait vivans; ils peuvent sans crainte opposer leur conduite à celle des chrétiens du pays qui ont pris part à cette guerre, entre autres à celle du chef hellène, autrefois général au service du roi Othon, Hadji Petros, qui faisait tous les soirs brûler vifs pour le divertissement de son camp quelques-uns des Turcs qui étaient tombés en son pouvoir ! S’il ne les a pas tous fait périr dans ce cruel supplice, s’il en est resté pour rendre compte des barbaries commises sur leurs camarades, c’est que Fuad-Effendi, qui, lui aussi, payait la rançon des prisonniers qu’on lui livrait vivans, y a mis bon ordre en faisant repasser la frontière à Hadji Petros et à ses héros soi-disant chrétiens, mais malheureusement lorsqu’ils avaient déjà eu le temps de faire un mal immense, et à leurs coreligionnaires plus qu’à personne.

Au mois de novembre 1853, j’ai vu à Constantinople quelques prisonniers russes, et je crois pouvoir garantir qu’ils étaient aussi