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Ce travail jette donc une vive lumière sur l’histoire de la Sicile, de l’islamisme et de la domination musulmane en Europe. Assurément il n’offre pas ce genre d’intérêt qu’on est convenu d’appeler romanesque, et pour le trouver à son goût, il faut aimer les études sérieuses ; mais outre que ce n’est pas une mauvaise recommandation aujourd’hui que de se séparer nettement de cette littérature facile, improvisée, dont on nous a si surabondamment rassasiés, l’intérêt romanesque ne pourrait se trouver ici qu’aux dépens de la vérité. Néanmoins les pages que M. Amari vient d’écrire sont très attachantes : on n’a qu’à lire celles où il raconte les commencemens des peuplades arabes, ou encore l’exposition qu’il fait des mœurs et des institutions de cette nation naissante. Pour comprendre le mérite du travail de M. Amari, il faut se rappeler ce que sont les chroniques arabes ; rien de plus sec, de moins littéraire ; les faits y paraissent décolorés, et le narrateur ne dit pas un mot des causes, des conséquences, des épisodes. Comment, avec de pareils élémens, faire naître l’intérêt, sans se livrer presque constamment à de hasardeuses conjectures sur ces détails, sur ces origines des faits, qui sont, à tout prendre, la poésie de l’histoire ? Le problème paraîtrait insoluble, si le goût des études orientales, en se généralisant dans le cours de ces trente dernières années, n’avait jeté beaucoup de jour sur ces matières. M. Amari a su en profiter, et il a mis au service d’une pensée nette, claire, ferme et substantielle, un style simple, précis et vigoureux.

Dans son premier volume, M. Amari ne conduit l’histoire que jusqu’à l’an 900 de notre ère. Il n’est donc pas temps encore d’étudier à fond cette œuvre considérable. Concurremment aux deux volumes qu’il nous promet encore, l’auteur fait imprimer à Goettingue, aux frais de la société orientale d’Allemagne, les documens arabes qu’il a copiés dans les manuscrits. Il a même traduit ces documens, et il n’attend plus pour publier sa traduction que de trouver un éditeur en Italie. Enfin M. le duc de Luynes, avec cette libéralité éclairée dont il donne tous les jours tant de preuves, s’est chargé de faire graver à ses frais les cartes topographiques que M. Amari a ingénieusement disposées pour jeter plus de clarté sur son travail. Ces publications sont un trop précieux complément à l’ouvrage pour que la critique historique puisse s’en passer.

On voit en quelle estime les savans de tous les pays tiennent M. Amari. Le concours qu’on lui prête aujourd’hui rappelle celui que d’autres lui prêtèrent il y a quelques années. C’est un des plus touchans souvenirs de sa vie d’exilé, et il a raison, dans sa reconnaissance, d’en informer ses lecteurs. Des Italiens dont les événemens politiques n’avaient pas détruit la fortune formèrent une association pour fournir à l’auteur des Vêpres siciliennes les moyens de préparer et de publier son nouvel ouvrage. Les travaux de M. Amari sont venus répondre dignement à ce concours, et justifier une confiance non moins honorable pour ceux qui l’éprouvaient que pour, celui qui l’inspirait.


F.-T. PERRENS.


V. DE MARS.