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l’édifice ancien qui doit tomber, et qu’il s’y prend de loin pour élever le monument moderne qui lui succédera. Comme dans une ville assiégée, derrière les murs assaillis par l’ennemi, longtemps d’avance, on commence à construire le retranchement qui les remplacera et devant lequel viendront expirer tous les efforts des assaillans, — de même, pendant que le vieux mur de la civilisation romaine tombe pierre à pierre, de bonne heure s’est construit le rempart chrétien derrière lequel la société pourra se retrancher encore.

Ce spectacle doit nous servir d’exemple et de leçon : assurément l’invasion barbare est la plus grande et la plus formidable révolution qui fut jamais : cependant nous voyons quel soin infini Dieu prit d’en adoucir, en quelque sorte, le coup, et de ménager la chute du vieux monde. Croyons donc que notre temps ne sera pas plus malheureux, que pour nous aussi, si le vieux mur doit tomber, des murs nouveaux et solides seront édifiés pour nous couvrir, et qu’enfin la civilisation, qui a tant coûté à Dieu et aux hommes, ne périra jamais.

C’est avec ces pensées d’espérance que je vous quitte, et j’aime à croire que, plus heureux l’année prochaine, je pourrai vous donner un rendez-vous plus exact. Je ne sais si j’achèverai avec vous cette course, ou si, comme à bien d’autres, il me sera refusé d’entrer dans la terre promise de ma pensée; mais du moins je l’aurai saluée de loin. Et quelle que soit la durée de mon enseignement, de mes forces, de ma vie, du moins je. n’aurai pas perdu mon temps si j’ai contribué à vous faire croire au progrès par le christianisme; si, dans des temps difficiles où, désespérant de la lumière spirituelle, beaucoup se retournent vers les biens terrestres, j’ai ranimé dans vos âmes ce sentiment, qui est le principe du beau, des littératures saines, l’espérance! Il n’est pas seulement le principe du beau, il l’est aussi de ce qui est bon; il n’est pas seulement nécessaire aux littérateurs, il est aussi le soutien indispensable de la vie; il ne nous fait pas produire seulement de belles œuvres, il nous fait aussi accomplir de grands devoirs : car si l’espérance est nécessaire à l’artiste pour guider ses pinceaux ou soutenir sa plume dans les heures de défaillance, elle n’est pas moins nécessaire au jeune père qui fonde une famille ou au laboureur qui jette son blé dans le sillon sur la parole de Dieu et sur la promesse de celui qui a dit : « Semez ! »


F. OXANAM.


HISTOIRE DES MUSULMANS DE SICILE, par M. Michel Amari[1]. — L’ouvrage que M. Amari publie sous ce titre aurait, à toutes les époques, une sérieuse importance; mais en un temps où le goût des études sur l’Orient et les races orientales est devenu si général, il suffit de savoir qu’il s’agit d’une période considérable, d’une face curieuse de la domination des musulmans dans l’Europe méridionale, pour qu’on soit disposé à suivre l’auteur dans tous les développemens qu’il donne à son récit. On ne saurait prendre

  1. Tome Ier, Florence 1854, chez Vieusseux.