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parler. C’est bien toujours ce que Caton avait dit du peuple gaulois, lors qu’il le caractérisait d’avance, avec son laconisme admirable, par ces mots : Rem militarecm et argutè loqui[1].

Aucun personnage ne représente mieux, à cet égard, le génie gallo-romain que Sidoine Apollinaire, l’un des premiers écrivains du Ve siècle. Sidoine Apollinaire était né à Lyon vers 430, mais probablement d’une famille arverne, d’une de ces riches familles gauloises chez lesquelles se conservaient les traditions littéraires des Romains et se perpétuaient, en même temps, des rancunes héréditaires contre la domination romaine. Il avait été instruit par des maîtres habiles, dont il a conservé le souvenir. Celui dont il avait reçu des leçons de poésie s’appelait Ennlus : c’était déjà, on le voit, l’époque de ces usurpations de noms célèbres qui, plus tard, peuplèrent les écoles d’Ovides, d’Horaces et de Virgiles. Son maître de philosophie s’appelait Eusèbe. Tout à coup ce Gaulois, exercé ainsi à l’art de la parole et à la science des philosophes, se trouva appelé aux premiers honneurs par l’avènement de son beau-père Avitus à l’empire. Un riche personnage gaulois, du nom d’Avitus, venait, en effet, d’être imposé à l’empire romain par le roi des Goths, Théodoric, et proclamé pour tomber bientôt après sous les coups d’un meurtrier obscur. Sidoine Apollinaire fut appelé à Rome pour prononcer publiquement, devant le sénat, le panégyrique de son beau-père. Quelque temps après, Avitus ayant été assassiné, Sidoine prononça à Lyon le panégyrique de son successeur Majorien. Un peu plus tard, quand Majorien eut disparu à son tour, il prononça le panégyrique d’Anthémius à Rome. Il était trop fécond en éloges! Lui-même cependant ne devait pas en juger ainsi, car les faveurs se multipliaient pour lui avec la même rapidité que ses vers. Il avait obtenu les premiers honneurs politiques et littéraires ; il avait à Rome sa statue au forum de Trajan, parmi les plus grands poètes de l’empire ; il avait été élevé au rang de patrice et à la dignité de préfet de Rome ; en un mot, il avait épuisé la coupe des douceurs humaines, lorsque tout à coup la lassitude des biens temporels, cette lassitude qui s’empare des grandes âmes, se saisit de lui, et, au bout de peu de temps, on le trouve converti, revenu à une vie plus austère, et porté par l’acclamation publique sur le siège épiscopal de Clermont. Sidoine Apollinaire, renonçant alors à la poésie profane, renonçant à toutes les distractions, à tous les égaremens de la vie mondaine, revêtit l’esprit d’un saint et pieux évêque ; mais comment renoncer aux lettres, à ce premier charme de sa jeunesse ? comment ne pas porter dans tout ce qu’il écrivait la trace de cet esprit des écoles gallo-romaines où il avait été nourri? Aussi, en parcourant le recueil de ses œuvres, quelle que soit l’époque sur laquelle nous tombions, que nous ayons affaire au préfet de Rome ou à l’évêque chrétien, c’est toujours, avec des sentimens différens, un langage semblable. En effet, avant toutes choses, Sidoine Apollinaire avait voulu être et avait été habile dans l’art de bien dire. Au rapport de Grégoire de Tours, telle était son éloquence, qu’il était capable d’improviser sans délai sur un sujet donné. Lui-même prend la peine de nous dire que, chargé de donner un évêque au peuple de Bourges, qui était divisé, il n’eut que

  1. « Gallia duas res industriosissimè persequitur : rem militarem et argutè loqui.