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sur ses talens culinaires, que les confidences de son tuteur avaient trahis, et principalement sur un certain gâteau de l’Engadine auquel il faisait de fréquentes allusions ; mais Henriette répondait à tout avec tant de simplicité, elle mettait tant de gaieté gracieuse dans ces vulgaires détails, que, loin de lui être défavorables, ils semblaient lui prêter un nouveau charme.

L’arrivée du jeune Allemand changea la tactique de la comtesse. Elle pensa d’abord à l’attirer par la bienveillance de son accueil. C’était un moyen de remplacer M. de Vaureuil ou même peut-être de le ramener, en vertu de cette maxime que les hommes s’attachent surtout à ce qu’on leur retire. À sa grande confusion, il n’en fut rien. Ainsi trompée dans tous ses calculs et un peu aigrie, elle s’était forcément réfugiée dans cette affectation d’indifférence qui est le voile ordinaire sous lequel se cachent les tempêtes.

Au moment où nous réintroduisons nos personnages sur la scène, huit jours s’étaient écoulés depuis l’arrivée d’Hermann ; le soleil descendait à l’horizon, on entendait retentir encore dans la montagne les coups de pistolet de M. Dinski ; quelques-uns des pensionnaires du Selisberg fumaient accoudés au petit mur de la terrasse qui précédait le chalet ; d’autres se promenaient en causant devant la façade. Henriette, assise à l’écart, prenait de M. de Vaureuil une leçon d’italien, tandis que Mme de Stieven brodait devant une petite table autour de laquelle étaient assis Hermann et M. Borris. Le premier, qui était plonge dans une de ces distractions somnolentes auxquelles il donnait le nom de méditation, laissait à son compagnon le soin de soutenir seul l’entretien. Bien qu’il eût dépassé la quarantaine, M. Borris avait encore l’esprit alerte ; sous son air bonhomme, enjolivé de politesse bourgeoise, il cachait la finesse et la solidité d’un Genevois. Chez lui, l’homme galant ne nuisait ni au puritain ni au capitaliste ; tous ses bouquets à Chloris étaient écrits aux marges de sa Bible et de son grand livre.

Malgré ses efforts, la conversation devenait de plus en plus languissante, lorsqu’elle fut interrompue par l’arrivée de l’hôtelier, M. Franck, qui apportait à Hermann un volume des poésies de Grün, que l’étudiant avait désiré lire. Comme celui-ci se récriait sur la promptitude avec laquelle M. Franck s’était procuré les œuvres du poète viennois, l’hôtelier répondit qu’il n’avait eu qu’à les faire venir de Stanz, où étaient son habitation d’hiver et ses Livres. Mme de Stieven releva la tête.

— Comment ! s’écria-t-elle, mais dans vos montagnes vous lisez donc ?

— Madame doit comprendre que la neige nous fait des loisirs forcés, répliqua l’hôtelier ; il faut bien avoir alors quelques volumes.