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césars, au temps de Valentinien III et de Théodose II, ce gouvernement qui tombe est relevé par le plus grand des anciens papes, c’est-à-dire par saint Léon. On sait comment cet homme illustre prit avec une vigueur nouvelle la direction de toutes les affaires spirituelles et temporelles de l’Occident, de l’empire et de la chrétienté. D’une part, il intervenait en Orient, à Chalcédoine, pour mettre fin aux éternelles disputes des Grecs et fixer le dogme de l’incarnation; d’autre part, en Occident, il arrêtait Attila au bord du Mincio et sauvait la civilisation dans un jour que la reconnaissance de la postérité n’oubliera jamais. Le patriotisme des anciens Romains vit encore dans cette âme fortement trempée et éclate dans les homélies qu’il prononçait le jour de la fête de saint Pierre et de saint Paul, où, célébrant la destinée de la Rome nouvelle, il aime à montrer la Providence elle-même présidant aux grandeurs temporelles de cette cité maîtresse dont les conquêtes devaient préparer la conversion de l’univers.

Ainsi, dès le Ve siècle, Rome et l’Italie, devenues chrétiennes, conservent les deux grands caractères de l’Italie antique; elles les garderont pendant tous les siècles du moyen âge, et nous en avons la preuve. Dès le commencement de cette période, dès que les temps carlovingiens sont unis, éclate, d’un côté, le génie théologique avec cette succession d’hommes célèbres : les deux saint Anselme, Pierre Lombard, saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure. De l’autre, le génie politique remue la Péninsule de telle sorte, que les derniers artisans des villes forment des corporations pour prendre part au gouvernement de la chose publique, et l’esprit des affaires s’y développe à ce point qu’il produira un jour un des plus grands écrivains politiques du monde, Machiavel.

Ces deux esprits, qui constituent le caractère du moyen âge italien, se réuniront dans les grands papes, comme saint Grégoire le Grand, Grégoire VII, Innocent III. Ils se réuniront aussi pour inspirer la Divine Comédie, qui ne serait rien, si elle n’était, par-dessus tout, le poème de la théologie et de la politique italiennes telles que le moyen âge les avait conçues et produites.

Il faut distinguer avec soin deux périodes dans la destinée de l’Italie; il ne faut pas confondre le génie italien du moyen âge avec celui de la renaissance; il ne faut pas faire porter à cette vieille Italie, si mâle, si forte, si capable de souffrir et de résister, la responsabilité de ce que fit plus tard cette autre Italie qui, livrée à autant de tyrans qu’elle contenait de seigneurs, finit par s’abâtardir dans sa langueur, s’oublie aux pieds des femmes, et perd son temps dans les misérables exercices d’une poésie impuissante ou dans les plaisirs des sens, portant une couronne de fleurs, mais voyant toutes les autres foulées aux pieds et toutes ses gloires compromises dans les dangers d’un obscur avenir. Ainsi l’Italie du moyen âge conservera profondément le caractère qui se manifeste chez elle dès les premiers temps de l’empire d’Occident.

Quant à l’Espagne, cette persistance du caractère primitif est encore plus frappante. Au moment où les Romains pénétrèrent dans ce pays, ils y trouvèrent le vieux peuple des Ibères, mêlé de Celtes, et remarquèrent dans ce peuple une singulière gravité, offrant ceci de particulier, qu’il ne marchait