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l’autorité romaine ne se maintiendra qu’en respectant, dans une certaine mesure, l’individualité, l’originalité des églises nationales. La sagesse et le bon sens de l’église romaine dépassant en ceci la sagesse et le bon sens du gouvernement romain, elle a su respecter les droits, les privilèges, les institutions, la liturgie, propres aux différentes provinces de l’empire. Aussi, dès les commencemens, on voit partout se former des conciles qui sont la représentation religieuse de toute, une province. L’Afrique en donna l’exemple la première après l’Italie, et ces conciles nationaux y étaient si fréquens, que, de 397 à 419, Carthage vit à elle seule quinze conciles. Cette activité fut imitée par les autres églises : dans la Gaule, les conciles se succèdent à partir de celui d’Arles, en 314, où fut proclamé si hautement le droit du saint-siège à intervenir dans le gouvernement de toute la chrétienté. Nous trouvons en Espagne, dès l’année 305, le concile d’Illibéris, où fut réglé si sévèrement le célibat ecclésiastique, puis le concile de Saragosse, et, en 400, le premier de ces conciles de Tolède destinés à fonder un jour le droit civil et public de la nation.

A côté des conciles, chaque province a ses écoles de théologie : Marmoutiers, Lérins en Gaule; Hippone, en Afrique. Chacune de ces écoles a ses docteurs à la mémoire desquels elle s’attache; enfin chacune a ses hérésies qui lui sont propres, qui réfléchissent en quelque sorte le caractère de chaque nation. Ainsi l’Espagne du iv* siècle a les priscillanistes; la Grande-Bretagne produira Pelage; la Gaule aura les semi-Pélagiens; l’Italie seule n’eut pas d’hérétiques : nous verrons tout à l’heure pourquoi.

Chaque église a ses saints, ses gloires nationales qui la représentent au ciel. C’est ainsi que le poète Prudence décrit les nations chrétiennes venant au-devant du Christ juge, lorsqu’il descendra au dernier jour, et lui apportant chacune dans une châsse les restes des martyrs dont la protection doit la couvrir et l’abriter contre la sévérité divine.

Quum Deus dextram quatiens coruscam
Nube subnixus véniel rubente,
Gentibus justam positurus æquo
Pondere libram.

Orbe de magno caput excitata,
Obviam Christo properanter ibit
Civitas quæque pretiosa portans
Dona canistris<ref> Prud., Peristeph., IV, V, 13 et 59.</<ref>.

Ainsi commençait de bonne heure ce qu’on pourrait appeler le patriotisme religieux. La nationalité chrétienne était bien différente de la nationalité des anciens, de celle qui consistait à déclarer ennemi tout ce qui était étranger : hospes, hostis. Au contraire, dans l’économie du monde moderne, chaque nationalité n’est autre chose qu’une fonction que la Providence assigne à un peuple donné, pour laquelle elle le développe, pour laquelle elle le fortifie et le glorifie, mais une fonction qu’il ne peut accomplir qu’en harmonie avec d’autres peuples, qu’en société avec d’autres nations : c’est là le propre des nationalités modernes. Chacune d’elles a une mission sociale