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DU COMMENCEMENT DES NATIONS NEO-LATINES.

Nous détachons ce travail important de la partie inédite des œuvres complètes d’Ozanam, dont on publiera prochainement les quatre premiers volumes. Dans un cours qui eut un succès brillant et mérité, Ozanam avait exposé le tableau de la civilisation au Ve siècle, c’est-à-dire à ce moment, peut-être le plus curieux de l’histoire, où le monde passe du paganisme au christianisme, de l’étal ancien à l’état moderne. Ce cours a été recueilli par la sténographie, et il va paraître dans l’ouvrage que nous annonçons, — la Civilisation au cinquième siècle, — car c’est un véritable ouvrage. Nous avons hésité entre divers morceaux, également remarquables, où il est traité de la littérature, de l’art, de la société, dans ce qu’on peut appeler l’âge héroïque du christianisme; nous nous sommes arrêtés à celui-ci, qui montre, dans les commencement des nations d’origine latine, les premiers germes de leur diversité et les premiers traits de leurs futurs développemens. Ce fut la fin de ce cours. Les dernières lignes sont empreintes d’un triste pressentiment, et touchantes comme un adieu.



Dans la civilisation uniforme qui au Ve siècle s’étendait d’un bout à l’autre de l’empire d’Occident, deux principes se combattaient, — le paganisme et le christianisme, — mais sans distinction de lieux, sous l’empire des mêmes lois et dans la même langue. Pendant qu’on lisait solennellement Virgile à Rome, au forum de Trajan, les grammairiens le commentaient avec une grande ardeur dans les écoles d’York, de Toulouse et de Cordoue. Si saint Augustin, au fond de sa solitude d’Hippone, dictait un traité nouveau contre les hérésies de son temps, toutes les églises d’Italie, des Gaules, d’Espagne, étaient attentives. Ainsi on ne découvre au premier abord qu’une seule littérature latine commençant, pour ainsi dire, l’éducation commune de tous les peuples occidentaux, cette éducation qu’elle doit continuer à travers les temps barbares, bien avant dans le moyen âge et jusqu’à ce que l’unité de la foi chrétienne soit fondée; mais, sous l’apparente communauté des traditions littéraires, on voit percer peu à peu des génies différens. Parmi tant de peuples soumis à la domination romaine, n’en est-il pas qui aient conservé quelque reste de leur caractère originel? Dans leurs lois, dans leurs mœurs, dans leurs dialectes et jusque dans les œuvres de leurs écrivains, ne peut-on pas surprendre quelques traits distinctifs, quelques instincts opiniâtres, une vocation irrésistible au rôle que la Providence leur destine plus tard et qui devra constituer leur nationalité ? Voilà la question que nous voulons débattre aujourd’hui.