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autres maîtres de l’école ombrienne qui ont précédé l’éclosion du pittoresque et de la peinture dramatique, un prélude plein de grâce et de sérénité, un murmure plein de suavité et d’onction pénétrante. C’est donc à Choron qu’appartient la première idée de ces concerts historiques qui ont été dirigés depuis par M. Fétis devant un public plus nombreux, et c’est également Choron qui a donné l’exemple de faire précéder chaque morceau d’une courte notice sur l’époque et le caractère de l’œuvre qu’on allait exécuter. C’est de l’école fondée par Choron qu’est sorti le mouvement historique qui s’est fait dans la musique en France depuis cinquante ans. Homme d’un esprit lucide, passionné, qui mêlait à la connaissance des langues anciennes et modernes la rectitude d’un géomètre et la profondeur d’un théoricien, il joignait à ces qualités le don du prosélytisme, la faculté rare de communiquer à ses élèves, qui l’adoraient, l’enthousiasme dont il était pénétré. Excellent, prodigue de sa bourse et de ses conseils, sa vive sensibilité s’épanchait à tout venant, s’il croyait trouver une vocation musicale, qu’il cherchait, comme Diogène, une lanterne à la main. C’est ainsi qu’il a recueilli avec amour M. Duprez, Mlle Rachel et sa sœur, Mme Stoltz, Monpou, et tant d’autres artistes remarquables. Les exercices de l’école Choron ont été pendant dix ans le rendez-vous de tout ce qu’il y avait à Paris d’hommes illustres par le génie ou par la naissance. Rossini, Boïeldieu, M. Neukomm, M. Fétis, Lamennais, Chateaubriand, Mme Pisaroni, Garcia, etc., s’y trouvaient à côté des princesses de la maison d’Orléans, de M. de Talleyrand et des membres du haut clergé. Cette institution remarquable, qui a dû son existence à la restauration, et qui ne lui a pas survécu, a formé plus que des musiciens et des chanteurs, elle a formé des hommes qui se sont fait remarquer par la pureté et la solidité du goût dans toutes les carrières qu’ils ont embrassées. En écoutant l’autre jour la messe que M. Nicou-Choron a composée pour célébrer la mémoire de son maître et de son beau-père, nous nous disions qu’il serait possible d’avoir des idées plus saillantes et une facture plus élevée, mais qu’on trouvait dans l’œuvre de M. Nicou-Choron ce qu’il est si rare de rencontrer ailleurs, le sentiment de la tradition et le style qui convient à la musique religieuse. Telles sont aussi les qualités qui distinguent presque tous les élèves de Choron; ils savent d’où ils viennent et quel dieu les a créés : signe de force aussi bien dans la vie que dans les arts.


P. SCUDO.