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traditions et son langage les conditions de sa vitalité distincte. Tel était le programme du généreux publiciste et des amis qui le secondèrent pendant cette orageuse période. Il sembla un instant que ce beau rêve allait se réaliser. Le gouvernement autrichien, effrayé des desseins du comité de Francfort, s’abrita pendant quelques semaines sous le mouvement national des Tchèques. M. Palacky, après la révolution du 15 mai et avant la fuite de l’empereur, fut appelé à prendre le portefeuille de l’instruction publique dans ce ministère Pillersdorf qui fit de si honnêtes efforts pour conjurer la ruine de l’état. Heures d’illusion trop vite passées ! La résistance des Allemands de la Bohême, l’exaspération des Tchèques, surtout l’explosion des folies démagogiques qui là aussi, comme en Hongrie, comme à Milan, arrêtaient le travail des idées et souillaient une grande cause, tout cela ajourna pour longtemps des espérances si belles. Ébranlée au nord et au midi, l’Autriche ramassait toutes ses forces, et le ministère Schwarzenberg, par sa constitution du 4 mars 1849, établissait une centralisation impérieuse qui ne laissait plus aucune place au développement des races. Le prince Schwarzenberg, avec une sorte d’irritation hautaine, repoussait à la fois et le programme de Francfort et le programme de M. Palacky. La maison de Habsbourg ne voulait ni se perdre dans l’unité de l’empire germanique, ni se séparer de son passé pour former une monarchie slave ; je suis l’Autriche, disait-elle, et je n’ai pas cessé d’être l’Allemagne.

Tout est-il donc perdu ? Tant d’efforts, tant de travaux, un mouvement si vrai, si sincère, et entretenu depuis un demi-siècle, tout cela est-il vain ? Non, rien n’est compromis. M. Palacky et ses amis ont repris leur œuvre interrompue ; ils y ont retrouvé les mêmes sympathies et le même patriotique enthousiasme. Cet esprit national qui revit chez les Tchèques n’est pas le caprice d’une révolution d’un jour ; une défaite d’un jour ne le détruira pas. Il n’y a là qu’une douloureuse épreuve qui peut devenir une leçon salutaire. En voyant M. Palacky dans sa retraite, étranger à toutes les choses politiques et plus dévoué que jamais aux études qui ont servi si puissamment le réveil de son peuple, les esprits impatiens dont la démagogie a fait ses dupes comprennent mieux sans doute aujourd’hui les devoirs du vrai patriotisme. Ce peuple qui s’est retrouvé en se repliant sur lui-même, ce peuple qui a réveillé ses traditions et restaure l’idiome de ses pères, qu’il se révèle de plus en plus par les travaux de la paix ; c’est là qu’est sa force et le gage de son triomphe.

Croit-on en effet qu’un gouvernement intelligent comme celui de l’Autriche régénérée puisse résister longtemps à cette conscience vivante de tout un peuple ? La crise immense qui tient le monde en suspens est favorable, si l’on y réfléchit bien, aux intérêts de ces