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grandit avec la restauration, il redouble de zèle et d’espérances après juillet 1830. Le fait même que nous avons sous les yeux ne parle-t-il pas assez haut ? Ce peuple qui se choisit son historien, cette histoire écrite avec une ferveur si pieuse, cette tâche devenue comme un sacerdoce pour l’écrivain qu’on en charge, quel incident expressif en un pareil tableau ! M. Palacky accomplit deux œuvres à la fois ; en racontant la Bohême du passé, il rend témoignage à la Bohême nouvelle.

Je crois donc à l’importance, à la légitimité, à la durée de ce mouvement national chez les petits-fils des Prémysl, mais je crois aussi que ce doit être pendant longtemps encore une insurrection littéraire et morale. Renouer les traditions rompues, restaurer les mœurs et le langage des ancêtres, entretenir dans les esprits le culte d’un passé chéri et le sentiment d’un droit imprescriptible, voilà votre tâche, si vous profitez des enseignemens de l’histoire. M. Palacky l’a comprise de cette manière, et l’activité de son esprit ne s’est pas ralentie un seul jour. En même temps qu’il publiait son Histoire de Bohême, il était toujours le premier à l’œuvre-dans les sociétés savantes et les recueils patriotiques. Il stimulait le zèle de ses amis, il donnait l’exhortation et l’exemple. Que de travaux, que de monographies outre celles que j’ai déjà citées ! Ici, c’est un mémoire très neuf et très complet sûr l’invasion des Mongols au XIIe siècle ; là, ce sont des études sur la topographie slave, une restitution de cette vieille Bohême défigurée par les dénominations germaniques. Ce n’est pas dans des réunions secrètes, dans des conciliabules de conspirateurs, c’est publiquement, à la face du soleil, en présence de l’Autriche étonnée, que le vaillant chef accomplit sa croisade. Il sait que la science est ici le plus puissant auxiliaire du droit, et que les meilleures victoires dans une lutte comme celle-là sont les victoires que remporte l’esprit.

Un jour vint cependant où M. Palacky dut remplir son rôle sur le périlleux théâtre de l’action. La révolution de 1848 éclate, et l’Allemagne entière, saisie tout à coup de craintes et d’espérances confuses, est en proie à une agitation indicible. La Bohême est en feu comme l’Allemagne. Cette grande secousse de 1848 se prête trop bien aux revanches ou aux prétentions des races opprimées pour que les Tchèques n’en profitent pas ; toutes les haines, toutes les colères, toutes les ambitions patriotiques rallumées par un demi-siècle de propagande font explosion à la fois. L’Autriche, après sa révolution de mars, vient de se transformer en gouvernement constitutionnel, mais ce n’est pas là ce qu’il faut à la Bohême ; les Tchèques consentiront-ils à se perdre dans l’assemblée des chambres autrichiennes ? Non, la Bohême veut un parlement à elle, un