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luttes sanglantes, Samo fut élu roi par les Tchèques. Ce Samo est un personnage extraordinaire et qui apparaît comme un météore au milieu des ténèbres. Il faut que la confusion des âges suivans ait été bien profonde pour que le souvenir d’un tel règne se soit effacé de si bonne heure. À travers l’obscurité qui couvre l’Europe orientale pendant le VIIe et VIIIe siècle, on en chercherait vainement un vestige ; le plus ancien chroniqueur de ce pays, le naïf rapporteur des traditions populaires, Cosmas, n’en parle pas, et c’est seulement depuis le réveil des études nationales que Samo a repris sa place dans l’histoire de Bohême. Samo régna trente-cinq sur les Tchèques, et fonda le premier grand empire slave que nous offrent les annales de ces peuples : c’était la Bohême, on le pense bien, qui était le centre de cet empire. La domination de Samo s’étendait au sud jusqu’aux Alpes de Styrie, à l’est jusqu’aux Carpathes, au nord jusqu’à la Sprée. Il avait même reculé ses frontières du côté de l’ouest malgré le voisinage des Francs, et de là un choc inévitable. Le dernier chef puissant parmi les Mérovingiens, Dagobert, appela toute l’Austrasie aux armes ; Samo rassembla aussi ses forces pour une lutte décisive : la Slavie entière était debout. La rencontre eut lieu à Togast (aujourd’hui Taus), et la bataille, qui ne dura pas moins de trois jours, se termina par la victoire des Tchèques. Un des résultats du triomphe, ce fut un nouvel agrandissement de l’empire de Samo. Bien des peuples de la famille slave, bien des duchés et des comtés soumis aux Francs ou aux Avars s’empressèrent de rendre hommage au vainqueur. Ceux qui ne voulaient pas se soumettre à ses lois s’enfuyaient devant lui ; c’est ainsi que plusieurs tribus serbes, attachées à leur indépendance, abandonnèrent les contrées qu’elles habitaient aux bords de l’Oder et de la Vistule, et, traversant la Pannonie, allèrent chercher un refuge dans l’empire grec, où l’empereur Héraclius leur assigna des terres à cultiver.

Ce vaste empire slave, établi par le génie de Samo, a-t-il survécu à son glorieux fondateur ? à quelle époque s’est-il dissous ? à quelle époque les Tchèques sont-ils rentrés dans les limites de la Bohème ? Il est impossible de répondre à ces questions. La période qui correspond à la décadence des Mérovingiens et à l’accroissement progressif des maires du palais est couverte en Bohême d’un voile épais et sombre que la critique moderne n’a pas encore soulevé. Depuis la mort de l’adversaire de Samo (638) jusqu’au couronnement de Charlemagne (800), l’histoire authentique disparaît pour faire place aux traditions légendaires. De ce trésor de légendes, où la poésie et la réalité se confondent, M. Palacky a extrait avec beaucoup de pénétration et d’art des indications que la science doit recueillir. Après le vieux Tchek du Ve siècle, le personnage dont la tradition a le mieux