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religion était le culte des forces de la nature, avec une poésie naïve, véritable poésie d’un peuple de laboureurs, qui animait la terre et le ciel, la plaine et le fleuve, le sillon et la semence. On comprend qu’ils n’eussent pas l’esprit de conquête des peuples turbulens et nomades. Braves et hardis contre les attaques de l’étranger, ils n’étaient pas organisés pour la guerre ; on levait les armées au moment du péril, et le chef des combattans (voyvoyde), une fois la lutte finie, perdait son titre et ses fonctions.

Bien que répandus sur une surface immense et divisés en d’innombrables peuplades, les Slaves du nord et du sud, en ces premiers temps de leur histoire, avaient à peu près les mêmes mœurs. Ils formaient alors comme aujourd’hui trois familles assez distinctes : les Slaves de l’est (Russes, Bulgares), les Slaves du sud-ouest (Illyriens, Serbes, Croates), les Slaves du nord-ouest (Lèches, Polonais, Tchèques, Slovaques). Les différences de dialecte qu’on remarque entre ces familles n’empêchaient pas à l’origine une parfaite communauté d’habitudes. Il fallut les violentes secousses de l’invasion d’Attila pour faire sortir cette grande race agricole de sa paisible obscurité. Ce furent surtout les Slaves de l’ouest, Tchèques et Illyriens, qui eurent à se débattre sous l’épée d’Attila, et qui, profitant de sa mort et de la dissolution de son empire, s’établirent désormais sur le sol qu’ils n’ont plus quitté. Quand les Slaves, après la grande inondation, chassèrent de Bohême les derniers débris des Marcomans, il paraît certain qu’ils ne venaient pas de l’Asie, mais de contrées toutes voisines, c’est-à-dire de ces terres situées au nord de la Thrace et qu’Hérodote a plusieurs fois décrites. César a peint les Gaulois, et Tacite les Germains : les Slaves n’ont pas eu dans l’antiquité un peintre aussi complet que ces grands maîtres ; mais le premier historien de la Grèce a donné sur certaines peuplades du nord de précieuses indications qui s’appliquent manifestement à eux. Tout ce tableau, chez l’historien de la Bohême, a l’attrait d’une œuvre bien composée et la vivacité d’une plaidoirie ; on aperçoit aisément la secrète inspiration de l’auteur et comme il est heureux de proclamer le droit de ses pères en retrouvant, bien avant le Ve siècle, les traces de leur antique séjour au sein de l’Europe.

Il est bien prouvé que les Slaves occupèrent la Bohême et la Moravie dès le milieu du Ve siècle ; mais à quelle époque s’y établit la tribu particulière des Tchèques, cette tribu qui a dominé bientôt tout ce pays, et dont le nom même a fini par se confondre avec le nom des Bohèmes ? Ce fut, selon toute vraisemblance, dans la seconde moitié du même siècle. Ce nom de Tchèques était d’abord celui d’un chef guerrier. On ne connaît guère la vie de ce héros barbare ; il est certain pourtant que la tradition a conservé sa mémoire et qu’elle le