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retournant vers l’Unterwaldais, qui s’était approché, il jeta la pièce d’argent à ses pieds.

— Sache désormais que tous ne sont pas comme toi durs au passant, dit-il ; prends, et rougis.

L’Unterwaldais ne rougit point, mais il se hâta de prendre et de s’éloigner. Alors le jeune homme, qui vit l’étonnement général, expliqua rapidement ce qui s’était passé, et il allait prendre congé, en adressant à la comtesse des souhaits de bonheur empruntés aux plus poétiques réminiscences de la muse germanique, lorsqu’il fut interrompu par l’arrivée de nouveaux voyageurs ; parmi eux se trouvait une jeune fille, qui, à sa vue, poussa un cri de surprise.

— Monsieur Hermann Brenner ! dit-elle.

— Mademoiselle Henriette Bergel ! répondit le jeune homme non moins étonné ; est-ce bien vous que je retrouve ici ?…

— Avec mon tuteur, M. Borris, de Genève, interrompit la jeune fille en présentant un vieillard qui l’accompagnait, et auquel elle expliqua en peu de mots que M. Brenner était un parent de M. le conseiller Kaufmann, chez qui elle avait passé l’hiver précédent à Heidelberg.

M. Borris tendit la main à Hermann avec une cordiale bonhomie. Il y eut un échange de questions, d’abord sur leurs amis communs, puis sur les directions respectives. Mlle Bergel et son tuteur remontaient avec leurs compagnons à l’hospice[1] du Selisberg, qui était une de ces hautes retraites où des touristes de toutes les nations se réunissent pour un court séjour d’été. Hermann témoigna d’abord le regret de ne l’avoir pas compris dans son plan d’excursion, puis se laissa tenter par l’éloge qu’en firent Mlle Bergel et son tuteur, et témoigna l’intention de changer son itinéraire pour les suivre. La difficulté était de trouver place à l’hospice. La jeune fille s’écria qu’elle allait tout arranger avec l’hôtelier ; celui-ci venait précisément derrière eux, sur la route d’Ematten. C’était un homme d’environ trente-cinq ans, dont la figure ouverte, la ferme tenue et le costume d’une propreté recherchée prévenaient favorablement. Henriette courut à sa rencontre, et M. Borris affirma qu’il ne refuserait rien à sa pupille.

— Je crois en effet difficile de résister à Mlle Bergel, dit la comtesse d’un ton qui flottait entre la bienveillance et l’ironie ; ne m’avez-vous pas dit d’ailleurs que votre pupille et notre hôte étaient presque parens ?

  1. Ce nom d’hospice (hospitium) est donné en Suisse à des hôtelleries bâties primitivement par les cantons dans des passages écartés où l’industrie privée ne se fût point hasardée à les construire ; puis, par extension, on a donné le même nom à toutes les auberges établies dans les stations solitaires.