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M. Palacky au milieu des fiévreuses impatiences de ses compagnons d’armes.

Ces travaux désintéressés n’ont pas seulement servi à former l’homme, ils ont doublé les forces du patriote. Quand M. Palacky est venu prendre sa place dans ce mouvement bohème qui se prononçait de jour en jour, il a apporté à ses amis ce qui leur manquait trop jusque-là, le sentiment de l’art et du style. L’érudition était déjà dignement représentée dans le pays de Dobrowsky ; il fallait maintenant un homme qui sût donner une forme à tant de matériaux amassés. L’histoire surtout, l’histoire de cette Bohême si ardente à renouer le fil rompu de ses destinées, personne encore ne l’avait racontée à l’Europe, personne ne l’avait rendue populaire parmi les Tchèques. On avait des recherches, des dissertations, des documens et des dates retrouvées ; on avait de laborieuses réfutations des écrivains allemands : était-ce assez pour le succès d’une telle croisade ? Non, tout cela n’est rien ; Pelzel est grave, Puchmayer est convaincu, Safaryk possède une science aussi précise que profonde ; mais où est l’homme qui ranimera l’esprit des vieux âges ? Où est le peintre des Ottocar et des Wenceslas ? Quel pinceau puissant fera revivre ce royaume de Bohême depuis la poétique et fabuleuse période des Prémysl jusqu’au jour où ces souverains prirent le sceptre, et l’épée de justice, et la pomme d’or de l’empire d’Allemagne ? « Je serai l’historien de la Bohême, » s’est dit M. Palacky sitôt qu’il eut pris rang dans la studieuse armée de l’insurrection tchèque, et ce fut dès-lors la constante préoccupation de sa vie. Il se rendit à Prague en 1823 pour commencer ses recherches. Les matériaux de ses devanciers ne lui suffisaient pas : n’est-il pas nécessaire que l’historien digne de ce nom voie les choses par ses yeux ? M. Palacky a une érudition ingénieuse et sagace qui lui appartient en propre. Il compulsa d’abord à Prague les archives des anciennes familles, il interrogea ensuite tous les grands dépôts littéraires, il fouilla les bibliothèques de Prague, de Vienne, de Munich, modérant la passion du patriote par les lumières et la loyauté du critique, et préparant les vives couleurs de son tableau.

C’est au milieu de ces ardentes études que M. le comte Franz de Sternberg fit appel à son activité et lui confia la direction du Journal du Musée de Bohême. Il y avait là une tâche féconde, des instincts à éclairer, des passions à contenir, des divisions intestines à pacifier ; il y avait surtout à entretenir l’ardeur et les justes espérances d’un mouvement national. M. Palacky n’hésita pas ; il prit la direction du Journal du Musée de Bohême et la garda dix ans. Ne croyez pas toutefois que ces brûlantes questions du présent lui fissent oublier ce passé glorieux où vivait son imagination. Pendant ces dix années de