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condisciples d’Allemagne, ce jeune écolier de quatorze ans était déjà comme un représentant de l’esprit slave. Tous ses camarades d’ailleurs n’appartenaient pas à une race ennemie ; c’est au lycée de Presbourg que Franz Palacky se liait d’une étroite amitié avec le jeune Kollar, qui devait bientôt jouer un rôle si brillant au sein de la littérature tchèque. Figurez-vous les deux écoliers dans les salles du collège ; ils s’entretiennent de leurs souvenirs d’enfance, ils se prennent pour confidens mutuels de leurs tristesses. Kollar a une imagination plus rêveuse, Palacky une ardeur plus virile ; Kollar est l’aîné de Palacky, mais la mâle raison du plus jeune a comblé sans peine les cinq années qui les séparent, et de ces causeries d’enfant, de ces longues et douloureuses confidences on verra sortir, à l’heure des luttes prochaines, le poète et l’historien de la Bohême.

Ce qui me frappe toutefois dans les premiers travaux de M. Palacky, ce n’est pas l’inspiration nationale. À Presbourg et bientôt à Vienne, où il passe quelques années en qualité de précepteur dans une riche famille noble, il s’occupe surtout de l’étude des littératures comparées. L’esthétique, seule partie de la philosophie qui fût alors cultivée en Autriche avec une liberté complète, avait un vif attrait pour son intelligence, et à le voir se passionner ainsi pour des questions si générales, on ne pouvait guère pressentir chez lui le futur chef du mouvement de la Bohême. C’est que M. Palacky n’est pas guidé, comme le sont trop souvent les défenseurs obstinés des races vaincues, par une pensée d’exclusion et de haine ; tout se tient dans un esprit bien fait, et les mêmes sympathies qui nous font étudier le travail du genre humain nous intéressent aussi aux droits de chaque race et de chaque tribu. Aimer l’humanité sans se soucier de la patrie, c’est la morale des modernes sophistes ; aimer la patrie sans se soucier de l’humanité, ce serait le patriotisme barbare. Le patriotisme de M. Franz Palacky est d’une nature plus haute, et il est bon que l’écrivain destiné à représenter un jour le réveil d’une race particulière débute par un goût si marqué pour les travaux collectifs de la famille humaine. Après avoir publié, à peine âgé de dix-neuf ans, ses Élémens de la poésie bohème, écrits en collaboration avec M. P.-J. Safaryk, il donne en 1821 les fragmens d’une Théorie du beau, et en 1823 une Histoire générale de l’esthétique. N’était-ce pas aussi une bonne manière de se préparer à son rôle que de pratiquer à fond toutes les langues de l’Europe ? Ce successeur des Dobrowsky et des Jungmann, qui se consacre aujourd’hui à la restauration de l’idiome des Tchèques, avait lu à vingt ans, dans le texte original, les grands poètes de France et d’Italie » d’Angleterre et d’Allemagne. J’aime à insister sur ces détails ; on devine déjà, ce me semble, après une préparation comme celle-là, quel sera le rôle supérieur de